Le droit à l’appropriation
Les Marie-Angélique sont un collectif qui aborde les réalités des femmes noires à Montréal. Chacune expose ici son point de vue personnel en réaction aux discussions récentes sur l’intimidation que vivent les femmes qui s’expriment sur la place publique. Voir ici le texte de Marie-ANGÉLIQUE. Suivez notre collectif sur Facebook @MJAngelique.
– par marie-ANGÉLIQUE
Beyoncé vient tout juste de donner naissance à des jumeaux. C’est une nouvelle incroyable pour la beyhive : seule une déesse peut donner naissance à des bessons après tout. Son annonce de grossesse positionnait déjà la chanteuse au cœur d’une savante histoire de l’art religieuse en provenance entre autres de l’Italie et du Mexique.
Pour le shower des bébés, Bey a récidivé, cette fois avec un thème africain.
La question qui tue : Le thème africain du baby shower des jumeaux de Beyoncé est-il de l’appropriation culturelle ?
Autrement dit, a-t-elle le droit d’utiliser une iconographie africaine ?
Et par extension, les descendants de la vaste diaspora africaine peuvent-ils réclamer légitimement comme leurs les traditions et pratiques actuelles africaines ?
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Je pense que les discussions sur l’appropriation culturelle manquent souvent de nuance. Je pense qu’elles manquent souvent de la complexité qui leur est due, parce qu’il ne s’agit pas d’un sujet simple. Un angle que je déteste dans les discussions sur l’appropriation culturelle consiste justement à demander, surtout dans des situations complexes :
Pourquoi est-ce que je n’ai pas le droit de faire ça ?
(J’exclue ici volontairement toutes les personnes qui refusent d’entretenir le concept d’appropriation culturelle. Je ne pense pas qu’elles valent la peine que je leur explique pour une énième fois de quoi il est question.)
Alors je ne vais pas, en fait, répondre à mes propres questions concernant Beyoncé, la diaspora africaine et l’appropriation culturelle. Mais je me permets quand même de jeter quelques idées sur papier, c’est pour ça que nous sommes là après tout.
– L’appropriation culturelle désigne l’effacement d’un contexte historique, religieux, de résistance, pour transformer un objet sacré en une commodité monnayable dans un monde capitaliste. C’est croire que le yoga est un sport inventé en Californie l’année dernière. C’est des capteurs de rêves en plastique dans des magasins de souvenirs.
– L’appropriation culturelle efface la pluralité des significations, plutôt que les multiplier.
– L’appropriation culturelle, c’est vouloir les objets et les images d’une culture sans vouloir les gens qui viennent avec elle.
– L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’une pratique d’un groupe minoritaire est valorisée uniquement lorsqu’elle est utilisée par un groupe majoritaire. C’est lorsque des enfants blancs sont autorisés à jouer à «l’indien» alors que les enfants autochtones n’ont pas droit à leur culture qui a été arrachée par l’histoire coloniale et les pensionnats autochtones.
– Réfléchir à l’appropriation culturelle, c’est obligatoirement réfléchir aux rapports de pouvoir impérialistes. C’est accepter de réfléchir aux complexités d’un monde où les migrations modifient, mettent en question et repositionnent ces relations de pouvoir. C’est réaliser qu’un jeune noir qui mange une pointe de pizza (italienne) au coin de la rue ne peut pas avoir la même signification qu’une rappeuse qui fait des millions de dollars de profit en effaçant l’histoire de résistance du rap. Peut-on affirmer apprécier une culture en lui retirant une partie de son histoire ?
– Entre l’appréciation et l’appropriation, la balance se situe dans le courage. Le courage d’apprécier (ou d’approprier) une culture devant ceux et celles qui la vivent à tous les jours. Beyoncé aurait-elle invité sans gêne des Africains à son baby shower ?
Il y un masque africain chez moi. Je le regarde chaque jour avec malaise. Il est le souvenir d’un voyage au Sénégal de mon partenaire, un voyage transformateur comme le sont beaucoup de voyages en Afrique, un voyage problématique en soi – il sait ça maintenant – mais transformateur tout de même. Alors il garde son masque qu’il apprécie et trouve beau. Et je le regarde chaque jour, un peu mal à l’aise. Le masque est un peu caché, dans la chambre, comme mon malaise. Mon malaise à apprécier quelque chose que je ne connais ni ne comprends pas totalement, mais que j’apprécie tout de même.
Je raconte cette histoire comme une confession. Je ne réclame pas le droit d’afficher chez moi ce masque africain. Mais sans excuser le geste, il ne me viendrait jamais à l’idée d’utiliser le masque, objet de malaise, pour gagner du profit, du capital personnel, du capital social. Je me contente de le regarder à chaque jour, me rappelant l’ampleur des histoires que j’ignore.
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