Mon trauma ne vous sera pas donné à voir
Mon trauma ne vous sera pas donné à voir
Avec la dénonciation de masse des agressions sexuelles commises par Harvey Weinstein et la montée en popularité du hashtag #moiaussi ou #metoo, je me demande à quel point notre parole nous appartient en tant que victime d’agression sexuelle. Tous nous pressent de dénoncer pour que cesse la culture du viol dans notre société, or est-ce vraiment la solution à choisir?
Trauma solidaire ou solitaire?
C’est après un appel lancé par l’actrice Alyssa Milano que des milliers de personnes se sont emparées du hashtag #moiaussi et #metoo pour illustrer qu’elles ont aussi été victimes d’agression verbale, psychologique et physique à caractère sexuel. L’initiative apparaissant comme un mouvement de solidarité et de force laisse plutôt un goût amer en bouche.
C’est qu’il existe déjà d’innombrables statistiques au sujet des violences sexuelles, on entend d’ailleurs régulièrement qu’une femme sur 4 sera victime de viol dans sa vie. Des sorties aussi médiatisées que celles des victimes de Bill Cosby, Woody Allen, Jonnhy Depp et, tout récemment, Harvey Weinstein nous prouvent, encore et encore, que nous vivons dans une culture du viol, que les femmes sont vues trop souvent comme des objets consommables et jetables.
Alors pourquoi faudrait-il encore une fois crier aussi publiquement que nous sommes toutes, à certains égards, victimes de la culture du viol, à 3 et à 80 ans, en jupe et en pantalon, en marchant et en métro, en souriant ou en criant. Nous sommes victimes d’agression tout au long de nos vies. Pourquoi nous demander de rendre visible ce qui est déjà aveuglant? Pourquoi devoir exposer nos plaies et nos traumas pour que certains comprennent? Quand faudra-t-il cesser d’être à la fois victimes et sauveuses? Pourquoi faudrait-il porter le lot de notre guérison en plus d’avoir à trouver la solution? Mes traumas ne sont pas l’élément qui manque dans l’équation pour résoudre le problème de la culture du viol.
Silence et désolidarisation
En voyant cette masse de #metoo et #moiaussi pleuvoir sur mes réseaux sociaux, il apparaît inconcevable en tant que féministe de se dissocier d’un si grand élan de solidarité, d’une si vaste communauté. Je veux être là pour toutes ces femmes qui m’entourent et qui ont dû faire face à ces agressions. Je voudrais que ma parole soit une source de réconfort et que mon silence ne soit pas un acte de désolidarisation. Or, il me semble qu’avec des initiatives à coup de hashtags, nous sommes contraints à cette dichotomie simpliste.
Et il faut le dire, je ne veux pas me faire appeler par ma communauté à dévoiler mes traumas sur les réseaux sociaux. Parce que peu importe le nombre de #moiaussi que j’ai vu circuler ces derniers jours, je suis toujours aussi seule derrière mon écran avec mon trauma et mes larmes.
Je fais partie de cette lignée de femmes qui ont trimballé la honte, la peur, la rage et la blessure d’une agression. Je fais partie d’une lignée de femmes qui ne se termine jamais. Je n’ai pas besoin de dévoiler mes plus intimes traumas pour que vous vous rendiez compte de l’importance du problème. On appelle les victimes à parler sur tous les fronts, à dénoncer, à crier lorsqu’elles se font attaquer, mais ce n’est pas mon silence qui crée la culture du viol. Il y a suffisamment de documentations et de femmes courageuses qui ont parlé, ce n’est pas un million de plaies ouvertes à voir qui y changeront quelque chose. Cette série de femmes marquées par les agressions et les viols est infinie et elle continuera de s’allonger avec ou sans hashtag.
Nat G
Je ne pense pas que ça peut nuire. Ça met plusieurs femmes à l’aise de s’exprimer et nous permet de voir l’empleur du problème. Par contre il est vrai que le travail à faire est surtout du côté des agresseurs potentiels et de la culture d’apologie du viol. Mais ça ne peut se faire si les victimes s’enferment dans le silence et se sentent coupables de ce qui leur arrive.
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Audrey Ducharme
Je tiens à te remercier pour ta prise de position, qui ne me semble pas facile à soutenir dans le contexte actuel. On peut finir par se sentir obligée de s’exprimer, de se dévoiler (c’est mon cas) et ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise (le mot est faible) de le faire. Il faut savoir respecter ça, aussi. Tu mets des mots, songés et articulés, sur un questionnement légitime qui m’assaille depuis deux jours. Bref, merci!
Merci aussi à l’équipe de Je suis féministe qui a accepté de partager ce billet, qui risque de faire des vagues. Ça en dit long sur votre réel désir d’entendre toutes les voix!
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