Réduire le privilège cis

Depuis mon dernier billet sur La transphobie ordinaire, plusieurs personnes cis m’ont écrit en privé pour me demander qu’est-ce qu’iels pourraient bien faire pour favoriser l’inclusion des personnes trans au quotidien. D’abord, je dois dire que je ne peux pas parler pour toutes les personnes trans. Il y aura toujours des situations particulières qui nécessiteront de se poser de nouvelles questions, de réfléchir aux singularités de chacun-e et de faire preuve de bonne volonté. Je vous encourage fortement à lire les témoignages des personnes trans et/ou queer racisées pour vous rendre compte de l’intersection de plusieurs oppressions.

Le gros minimum selon moi est de reconnaître qu’il existe bel et bien un privilège cis. Ça ne sert à rien de dire que ce ne sont pas toutes les personnes cis qui sont transphobes parce que chaque personne possède des biais inconscients. Le privilège cis est structurel, c’est-à-dire qu’il traverse toutes les institutions du pouvoir et toutes les sphères publiques et privées de la société, que l’on s’en rende compte ou non (accès à l’éducation, au logement, à l’emploi, aux frontières, à la sécurité, etc.). Avoir un privilège cis, ce n’est pas quelque chose de rabaissant ni une insulte, c’est une réalité dominante qui favorise l’accès à des ressources économiques et sociales.

Être allié-e des personnes trans demande d’abord de les écouter sur les enjeux qui les concernent plutôt que de vouloir parler à leur place. Iels connaissent, ressentent et vivent avec ces enjeux quotidiennement. Renseignez-vous, lisez sur ces sujets. Je ressens toujours un malaise profond quand des hommes cis médiatisés se travestissent en «femme » le temps d’un gala, dans une tentative hasardeuse de sensibiliser aux enjeux trans. Cela répand l’idée néfaste qu’être trans, ce serait seulement de revêtir un costume qu’on pourrait changer au goût du jour alors que l’identité de genre est un sentiment profond, réel et authentique. La performativité du genre est un concept qui s’applique autant aux personnes cis qu’aux personnes trans. L’expression de genre est indépendante de l’identité de genre. Bref, mélanger travestissement et transidentité relève d’une mécompréhension totale de ces enjeux.

Il faut arrêter d’attribuer un genre binaire aux personnes en se basant sur leurs apparences physiques. Cela invisibilise les personnes trans non-binaires (dont je fais partie) et normalise encore plus certains types de vêtements traditionnellement associés à une binarité homme/femme. Je me rappellerai toujours de ces gars cis et cools du secondaire qui s’habillaient en « filles » hypersexualisées à l’Halloween.  Ils faisaient semblant d’être niaiseuses, comme si c’était ça être une femme : un objet sexuel épais en jupe. Ces mêmes gars cis populaires qui violentaient des personnes MOGAI[1] tous les autres jours de l’année. Et que dire des magasins. Les produits sont tellement genrés binairement que c’en est ridicule. Des rasoirs aux déodorants, en passant par les brosses à dents, aux crayons, aux cahiers. Bref, les pharmacies sont de beaux laboratoires pour observer la cisnormativité binaire. Personnes cis, si vous travaillez dans le public, de grâce, ne dites surtout pas aux client-e-s qu’iels se trouvent dans la mauvaise section (genrée). L’autre jour, je magasinais des lunettes et on m’a répété trois fois que la section pour hommes était plus loin, ce qui est hyper triggerant.

L’écriture inclusive. C’est un débat virulent qui me dépasse parce que c’est tellement simple à utiliser quand on prend le temps de s’y intéresser. (Je vous invite à lire ce Petit Dico de français neutre/inclusif : http://uniqueensongenre.eklablog.fr/petit-dico-de-francais-neutre-inclusif-a120741542. De nombreuses autres ressources existent en ligne). Personnellement, je trouve que l’écriture masculine cis est plus compliquée et vague que l’écriture inclusive. Quand je lis des textes où c’est écrit Homme avec une majuscule, je me demande toujours de qui on parle. Un homme cis universel transcendantal (lol), tous les hommes cis,  tous les hommes cis et trans, un homme trans, tous les hommes trans, les hommes et les femmes cis/trans, une autre de ces combinaisons? L’écriture normative dominante tombe presque toujours dans la généralité et l’imprécision en évacuant les marques de genre. L’écriture inclusive exige qu’on se pose des questions par rapport au privilège cis. Qui parle vraiment? Pourquoi le privilège cis devrait être la norme (in)consciente indiscutable? Il est bon de se rappeler aussi que les parties du corps ne possèdent pas de genre spécifique. Un pied, un vagin, un pénis, un bras, ce n’est ni intrinsèquement masculin ou féminin, cela dépend toujours de comment on vit et ressent son propre corps et son identité de genre personnelle.

Arrêtez d’objectifier et de fétichiser les personnes trans. De plus en plus d’études estiment qu’une personne trans sur deux subira des agressions sexuelles dans sa vie, ce qui est plus élevé que la moyenne des femmes (cis et trans combinées). Cela s’explique par la transphobie : réduire les personnes trans à des êtres inférieurs, monstrueux, malades mentaux, objets sexuels, pervers, etc. Quand le privilège cis n’est pas confronté, que les personnes cis restent dans leurs préjugés haineux, que l’éducation ne se fait pas et que le dialogue est fermé, il ne peut en résulter que de la violence gratuite. Aimez-nous d’amour comme des personnes entières et valides.

Les personnes trans ont le droit d’être en colère et de dénoncer les injustices cissexistes et transphobes. Iels n’ont pas à s’excuser d’exister ni à vous éduquer sur leurs enjeux pendant tous leurs temps libres. Un dialogue sain, ça se fait d’humain à humain, en s’intéressant réellement aux singularités des autres, en lisant beaucoup, en réfléchissant au poids des mots qu’on utilise et en acceptant qu’on ne peut pas tout comprendre des autres. Les idées trans, si elles vous semblent choquantes, c’est qu’elles révèlent en fait la nature pernicieuse du privilège cis.

[1] Marginalized Orientations, Gender identities, And Intersex

Crédit de l’image de couverture : https://kandipatterns.com/patterns/simple/transgender-flag-8908

3 Comments

  • Claire366
    4 novembre 2017

    L’auteure du texte n’a jamais dit qu’être cis est un choix. Pas plus qu’être trans. On ne choisit pas son identité.

    Et l’exemple d’un « homme qui se déguise en femme qui entre dans un organisme pour femmes battues » ne justifie aucunement l’exclusion des femmes trans. Les femmes trans ne sont pas responsable de conneries que les hommes cis peuvent faire! Et nommez-moi un cas où c’est arrivé svp?

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

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