Solidarité et libération: L’activisme des femmes bangladaises

Que ce soit au sujet de sa rémunération, de l’équité salariale ou de la parité, le travail occupe une place centrale dans l’histoire des luttes féministes. Aujourd’hui les femmes sont responsables de 66% du travail effectué dans le monde, or elles ne gagnent que 10% des revenus issus de ce travail, et ne possèdent que 1% de la propriété (Organisation des Nations Unies 2018, 51). Face à ce problème naissent des mouvements de contestation en Amérique du Nord, nous les connaissons déjà. Mais à travers le monde la lutte prend d’autres formes, particulièrement dans les pays ayant subi une domination coloniale. Le Bangladesh constitue un cas intéressant de double lutte, anti-coloniale et féministe, mais aussi d’une solidarité féminine du local au global.

 

Ainsi, quel lien entre lutte nationaliste et lutte féministe ? Comment les femmes bangladaises obtiennent la reconnaissance de leur travail? De quels moyens disposent-elles pour influencer leur propre histoire?

 

Tout d’abord, la capacité d’action des femmes bangladaises a des racines historiques. C’est que, le Bangladesh alimente depuis des siècles une tradition de lutte contre l’oppresseur. Le pays a connu plusieurs formes de domination qui ont participées à la création d’une identité nationale forte. D’abord contre l’empire colonial britannique dans les années 1850, puis lors de la guerre d’indépendance envers le Pakistan en 1971. Le nationalisme est ici une façon de libérer son pays d’une domination, de se le réapproprier selon ses propres règles. Cela pourrait vouloir dire accorder une place plus importante aux femmes en politique, or ce n’est pas toujours le cas et ce malgré la participation des femmes à la lutte anti-coloniale.

 

En effet, historiquement, l’image traditionnelle de la femme lors des guerres est celui de l’infirmière ou encore de la mère qui encourage son fils à partir au combat. Or lors des diverses guerres d’indépendance les combattantes des pays colonisés ont prouvé à de multiples reprises leur ingéniosité, malheureusement trop peu célébrée. Le Bangladesh ne fait pas exception à la règle. C’est d’ailleurs lors de la lutte pour l’indépendance que l’activisme des femmes connaît son premier élan. En effet, dans la logique d’une lutte d’un peuple bangladais uni, toutes les franges de la population se doivent alors de contribuer au combat. Les femmes ne se contentent pas d’œuvrer à l’arrière-garde du front, mais elles rejoignent aussi les bataillons de leurs villages respectifs. L’activisme commence donc au niveau local. Le groupe Mukti Bahini (Combattants/es pour la liberté) qui prône une guérilla violente pour obtenir l’indépendance, est composé de plusieurs femmes qui marquent l’histoire du Bangladesh indépendant, telle que la guerrière Taramon Bibi qui, dès son jeune âge s’illustre par ses faits d’armes. Mais, même après l’indépendance, qui aurait dû être une occasion de reconstruire les institutions étatiques selon un principe d’égalité, le pays et ses institutions demeurent tout de même dominés par les hommes. Et la reconnaissance des femmes combattantes prendra plusieurs années. C’est que l’appartenance à la nation prend le dessus sur tout autre identité, et la lutte féministe se trouve donc mise de côté, c’est l’autre face de la lutte nationaliste.

 

Mais la lutte ne s’arrête pas là. On veut la reconnaissance du rôle des femmes pendant la guerre mais aussi la reconnaissance du travail quotidien. Les premiers réseaux activistes se sont beaucoup transformés depuis, mais l’initiative locale y est toujours centrale. Dans sa deuxième phase, l’activisme est désormais encouragé par le microcrédit. Ce système, d’ailleurs inventé par le bangladais Mohammed Yunus permet aux populations pauvres des pays en développement d’obtenir de petits prêts. Le prêt est accordé à un individu et s’il ne parvient pas à le rembourser, le remboursement sera assuré par la collectivité, ce qui encourage encore une fois la formation de réseaux locaux. Au Bangladesh, cette méthode touche majoritairement les femmes et actuellement plus de 90% des microcrédits sont attribués à des femmes (Jacquette, Summerfield 2003, 293). Sur le long terme, le programme leur a permis d’acheter des terres à leur noms, et non à celui de leur mari, ce qui renverse la dynamique traditionnelle de possession des terres. La femme passe donc de travailleuse du sol non reconnue à propriétaire de sa propre terre, preuve indéniable d’une agentivité féministe pour la réappropriation des moyens du travail.

 

Du fait que de plus en plus de femmes travaillent et sont maintenant propriétaires, de nouveaux réseaux et de nouvelles associations se forment, qui se taillent peu à peu une place au niveau national et donne de la visibilité à la cause. La plus importante d’entres elles, l’association Karmojibi Nari, nait dans les années 1990. Elle œuvre pour l’implication des femmes dans la sphère publique et avance que toute femme est une femme travailleuse. En effet les tâches traditionnellement attribuées aux femmes sont rarement reconnues comme travail et donc ne sont pas rémunérées. L’association est organisée par « cellules » développées dans de petites communautés mais qui se rapportent toutes à l’association centrale. Cette dernière parvient alors à influencer le gouvernement pour la protection des travailleuses tant en milieux de travail qu’en communauté.

 

L’activisme des femmes bangladaises est une illustration pertinente d’une initiative et de réseaux locaux qui ont des répercussions au niveau national, d’une lutte pour la reconnaissance de leur rôle dans plusieurs sphères de la société. Parce que les femmes font face à des enjeux différents et que luttes féministes ont des formes variées, toute forme d’agentivité féministe devrait être soulignée et célébrée.

 

 

Sources :

Organisation des Nations Unies. (2018). Economic and social development. The Essential UN.

Jaquette, Jane et Summerfield, Gale. (2006). Empowerement Just Happened : The Unexpected Expansion of Women’s Organizations. Women and Gender Equity in Development Theory and Practice. Durham and London : Duke University Press.

Broadbent, Kaye et Ford, Michele. (2008). Purity and Communal Boundaries : Women and Social Change in Bangladeshi village. Women and Labour Organizing in Asia. London and New-York : Routledge.

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