Le revenge porn, c’est illégal : de l’individu à la plateforme, de la condamnation à la prévention
Entrons directement dans le vif du sujet. Le revenge porn est un crime – depuis 2015 au Canada – touchant principalement les femmes, mais aussi les hommes, qui se produit généralement quand, par vengeance, une personne publie, sur Internet et sans consentement, des images intimes de son ex.
Au Québec, environ un.e citoyen.ne est accusé.e de revenge porn chaque semaine. Les offenseur.se.s se rendent souvent coupables d’autres crimes, notamment de harcèlement criminel. Les peines se comptent en mois de prison (peine la plus lourde : 273 jours), en dommages et intérêts (100 000 $ pour un Ontarien en 2016) et bien sûr en création de casiers judiciaires – ce qui limite les possibilités d’emploi et de déplacement.
Une victime peut porter plainte contre son abuseur.se en contactant le poste de police de son quartier. Pour de l’aide en ligne, elle peut contacter Cyberaide ou Need Help Now. Elle peut aussi entamer des poursuites civiles, mais « c’est un processus difficile, coûteux et public que plusieurs victimes n’ont aucune envie de subir [avec raison] » (Me Gilles Trudeau). Il y a donc encore du chemin à faire, même si les condamnations au judiciaire sont exemplaires.
Et puis, au-delà des individus, il y a les plateformes. Réseaux sociaux ou sites de pornographie amatrice ne devraient-ils pas être tenus de faire barrage au revenge porn? Ma réponse est un oui absolu. Celle de la justice est encore balbutiante et s’ancre dans la condamnation après les faits, non pas la prévention.
En exemples, je synthétiserai quelques passages d’un article du Canadian Journal of Women & the Law (2018). Concernant Facebook, par exemple, les autrices nous disent que, si le réseau est tenu de supprimer dans les plus brefs délais tout contenu signalé, il est exempté, dans un souci de respect de la vie privée, de faire du monitoring, c’est-à-dire de la surveillance permanente qui viserait à détecter les contenus illégaux. Donc, pour qu’une photo soit supprimée, il faut qu’elle ait été publiée, repérée et signalée – une opération qui doit être répétée à chaque republication.
C’est ce qui est arrivé à une adolescente irlandaise de 14 ans dont une photo intime a été extorquée puis publiée à de multiples reprises sur une shame page (« page de la honte »), entre 2014 et 2016. Ayant porté plainte contre le réseau et ayant demandé qu’il emploie le système de reconnaissance de contenu PhotoDNA – utilisé pour lutter contre la pédopornographie – pour prévenir des republications, elle a obtenu un gain de cause partiel en janvier 2018. En effet, si Facebook a entre-temps (2017) commencé à utiliser un système de reconnaissance et de suppression de contenu « sensible », il n’a pas employé PhotoDNA, ce qui aurait été plus pertinent.
De plus, comme les torts sont survenus avant 2017, Facebook a été condamné à payer des indemnités pour « mauvais usage d’information privée, négligence et désobéissance au Data Protection Act ». Le bon déroulé du procès a tenu à un détail, ceci dit. En effet, Facebook a tenté d’enrayer les procédures en soulignant qu’utiliser PhotoDNA aurait signifié faire du monitoring. Toutefois, il a été jugé par la Cour que la demande de la plaignante pouvait plutôt être considérée comme du « blocage » et que l’exemption ne s’appliquait donc pas.
Par contre, la Cour a rejeté une autre requête de la plaignante : celle de supprimer automatiquement les shame pages qui seraient associées à son nom. Alors qu’elle peut paraître légitime, cette demande-ci a bel et bien été associée à du « monitoring injustifiable ». Je vous laisse lire le rapport pour plus de détails, mais, globalement : c’est flou. Les autrices notent que les lois encadrant les plateformes bénéficieraient d’être clarifiées. Ainsi, un contenu – photo, page ou autre – jugé illégal une fois ne devrait jamais pouvoir être republié. Prévention partielle, mais mieux que prévention zéro.
Et Facebook est un petit joueur. Il existe des plateformes dont le but même est de diffuser sans consentement des images intimes. Le site états-unien MyEx, supprimé seulement en janvier 2018, permettait aux utilisateur.rice.s de poster des photos explicites de leurs ex avec leurs noms et parfois leurs adresses. Paradoxalement, alors que le noyau du site était l’aspect non consentant des publications, il réussissait à se tirer d’affaire en promettant une vérification raisonnable du consentement. Il a finalement été prouvé que le site ne prenait aucune mesure réelle en ce sens – entre autres pratiques « déloyales et fallacieuses ». Ce cas créera-t-il un précédent suffisamment marquant pour prévenir ou au moins minimiser la création de nouveaux sites de ce genre? C’est à voir.
Notons que si les affaires citées ne concernent pas directement notre pays, les législations en cause ont des équivalents canadiens, et les cas de revenge porn semblables existent selon toute probabilité sur notre territoire.
Donc, nous avons des ressources légales, mais, pour le moment, elles ne sont pas les plus directes qui soient et ne sont pas encore axées sur la prévention. Il serait justifié de se sentir découragé.e, mais l’action est possible et peut faire évoluer la loi. Le cas de l’adolescente irlandaise, par exemple, a amené de profondes réflexions sur le sujet.
Il est toutefois entièrement légitime de la part d’une victime de vouloir avant tout chercher de l’aide pour elle-même. Cyberaide et Need Help Now sont les ressources en ligne les plus indiquées pour ce faire, comme mentionné plus tôt.
À long-terme, en tant que société, nous devons continuer de militer pour une législation plus claire, mais aussi pour une éducation sexuelle et civique plus pertinente. Oui, parce que nous n’en avons pas parlé directement, mais le revenge porn naît d’un cruel manque de conscientisation, à l’échelle sociétale, notamment concernant le consentement. En sont témoins des phrases terribles comme « Iel était consentant.e quand iel a pris/envoyé la photo, donc finalement iel est responsable ». Premièrement, la photo n’est pas toujours obtenue avec consentement. Deuxièmement, même quand c’est le cas, consentir à envoyer une photo à une personne en qui on a confiance n’est pas consentir à la voir partagée publiquement. Le consentement n’est pas une carte VIP à vie, donnant toutes sortes de passe-droits à cellui qui l’obtient une première fois. À chaque étape d’une décision, d’un geste, d’une relation, le consentement appartient à la personne qui choisit de le donner ou non, et ce, de plein gré. Bafouer ce principe, dans ses idées, ses paroles ou ses actions, c’est bafouer un des éléments-clés de notre humanité. Point barre.
Sources (par ordre alphabétique) :
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