Résolution féministe : s’écouter

Chaque Nouvel An, je ressens une boule dans la gorge parce que mon anxiété de performance monte en flèche. J’ai l’impression que je dois travailler toujours plus, cuisiner plus, bouger plus, avoir une vie sociale plus équilibrée, plus d’argent, plus de confort, un appartement plus rangé, faire plus de projets, tout pour faire plus, produire plus, être plus. C’est fatigant de se mettre autant de pression sur les épaules. Et les choses ne s’arrangent pas si facilement même quand on essaie de diminuer ses activités…

 

Vouloir en faire moins exige de grandes énergies. J’ai écouté quelques épisodes de Tidying Up with Marie Kondo et j’en suis ressorti·e vidé·e. Il y a une performance qui vient avec l’épuration, le lissage, le désir d’une vie minimaliste, très blanche et propre, parfaite. Je revendique le droit d’en faire moins, de m’arrêter, de ne rien faire, d’investir la possibilité d’un espace pour moi, non productif. Le système capitaliste s’approprie notre force de travail, ce n’est pas nouveau. Cette année, je veux décroître sans avoir à créer une chaîne YouTube et un blogue quotidien sur la décroissance. Je ne veux pas en faire plus avec moins, je veux en faire moins avec moins. Et ça aussi, c’est un geste féministe. S’aimer, se choisir.

 

  1. Je veux travailler moins. Toutes les sphères de nos vies sont axées sur la performance. Plusieurs emplois en même temps, des idées de projets, du travail invisible, du bénévolat pour faire avancer sa carrière, tout ça pour quoi? Pour acheter plus de bébelles? Dans le milieu culturel, il est fréquent de travailler gratuitement pour de la visibilité, et ce, pendant plusieurs années, dans l’espoir de percer un jour et d’avoir un vrai emploi. On ne fait pas d’argent en écrivant des livres. Il y a une pression incroyable pour performer toujours plus, participer à toutes les soirées importantes, être toujours là, disponible et en forme.

 

  1. Je veux prendre soin de moi. Dans une société patriarcale où les minorités subissent des violences quotidiennes, c’est un geste féministe de s’aimer et de prendre soin de soi. Je dois apprendre à vivre et à accepter mon corps trans malgré mes dysphories. Je ne parle pas de dépenser des fortunes en thérapies (un privilège économique que je n’ai pas), mais de faire un travail d’introspection et d’amour-propre. C’est dur de s’aimer quand la société (presque) au complet ne t’aime pas ou t’enseigne que ton identité de genre est inférieure à l’homme cishet blanc lambda.

 

  1. Je veux souligner les bons coups des gens qui m’entourent et honorer ceuzes qui m’ont précédé·e dans leurs luttes anti-oppressives. Malgré des tensions entre différents mouvements et courants féministes, nous ne sommes pas en compétition les un-e-s avec les autres. Nous avons des visées communes pour l’égalité entre les genres et la fin des oppressions systémiques. Je pense qu’il faut essayer de sortir du jugement et aider toutes les femmes, personnes trans, non binaires et racisées, à l’exemple de la Fédération des femmes du Québec. En 2019, je veux détester moins et aimer plus.

 

  1. Je veux respecter mes limites personnelles. C’est difficile de dire non ou de reculer quand on est assigné·e comme la angry feminist de service ou qu’on doit sans cesse justifier son existence (trans). Il m’est arrivé trop souvent de plier, de ne rien dire, de me laisser faire, de hocher la tête en silence, dans différentes sphères de ma vie, dont la sexualité. Le consentement est quelque chose que l’on doit apprendre tous les jours, autant pour soi que pour les autres. Les femmes (et encore plus les femmes trans) subissent des taux alarmants d’agressions sexuelles. Je suis resté·e parfois trop longtemps accroché·e à des relations toxiques parce qu’une petite voix patriarcale me chuchotait que je capotais pour rien, exagérais, etc. Ce tone policing finissait par me convaincre que toutes les relations intimes sont comme ça et que je devais m’y faire. Plus jamais.

 

  1. Je veux continuer à militer et à aider mes proches dans le besoin, mais à mon rythme et pour les bonnes raisons. J’ai fait beaucoup de travail invisible et de care dans les dernières années, alors que moi-même je n’allais pas très bien et ne faisais rien pour m’aider. Je commence à peine à ralentir, à prendre soin de moi avant de me sacrifier pour les autres. Quand je parle de militer et de m’investir aux bonnes places, je pense à la chance que j’ai de pouvoir écrire pour un média comme Je suis féministe, qui, je le rappelle, est un blogue collaboratif, horizontal et sans but lucratif. Avant d’être collaborateurice ici, j’ai écrit pour un blogue populaire qui fonctionnait grâce à une montagne de bénévoles et autres stagiaires non payé-e-s qui enrichissaient les gestionnaires placé-e-s bien en haut de la pyramide, et qui nous mettaient beaucoup de pression. Depuis ce temps, je ne cesse de conseiller à mes ami-e-s littéraires qui veulent acquérir une expérience professionnelle de bien se renseigner et de poser des questions aux médias avant d’offrir son travail gratuitement. De toute façon, une expérience d’écriture dans un média sans but lucratif vaut tout autant que dans une entreprise lucrative et c’est souvent plus agréable parce qu’on s’y fait traiter en égaux et qu’on peut travailler à son rythme.

 

Cette année, mes résolutions féministes vont dans le sens de la décroissance, du repos et de l’amour-propre. Pour vivre une vie féministe, il faut parfois prendre du recul et se concentrer sur soi. Accepter d’en faire moins avec moins.

 

Bonne année féministe à toutes les personnes qui me lisent!

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