Fière et parfois menstruée

Ma relation avec mon utérus n’a pas toujours été facile. Je l’ai longtemps détesté parce qu’il fonctionnait tout croche. À quinze ans, quand mes amies avaient déjà eu leurs premières règles, j’attendais encore les miennes. J’espérais, chaque jour, apercevoir une tache rouge dans mes sous-vêtements. J’en rêvais. Chaque douleur abdominale me redonnait espoir : mon tour était enfin arrivé. Je me réveillais en hâte de découvrir un drap sali ou un pyjama ruiné, mais mes déceptions s’accumulaient. J’étais condamnée à demeurer une adolescente prépubère. J’attendais, j’attendais, j’attendais.

            

            

Un matin, à l’été de mes seize ans, une surprise ferreuse m’attendait silencieusement. En extase devant l’eau de toilette rouge, j’ai couru dans la chambre de ma sœur pour lui annoncer la nouvelle. Elles étaient enfin arrivées. Mon attente était terminée. Je portais fièrement ma première serviette sanitaire. C’était le plus beau jour de ma vie. 

            

Les beaux moments ont vite disparu. Les jours, les semaines et les mois passaient, mais toujours rien. Mes règles ne revenaient plus. « Mon cycle doit être irrégulier », me disais-je. 

            

L’attente de mes règles n’avait jamais été aussi pénible. Je voulais mes règles. Je voulais qu’elles me confirment que tout fonctionnait, que le « problème » était réglé, mais aussi, qu’il m’était possible d’avoir des enfants. J’avais peur. J’avais peur d’être infertile, parce que mes règles n’arrivaient pas. J’avais peur de ne pas être capable de tomber enceinte, parce que mon utérus fonctionnait tout croche. On nous répète toujours de faire attention pour ne pas tomber enceintes, comme si toutes les femmes pouvaient porter un enfant! Je sais que le risque est plus élevé dans ma tranche d’âge (j’écoute encore Teen Mom religieusement, tous les lundis sur MTV), mais pouvoir ou ne pas pouvoir être enceinte ne devrait pas déterminer du genre d’une personne.

            

Mais le volcan finit par se réveiller. La lave s’écoula le long de mes jambes et sur mon banc de cinéma durant le film de Katy Perry. Le derrière humide, mon Teenage Dreamvenait de prendre une tournure bien sanguinaire. Cachée dans ma cabine de toilette, je sanglotais en attendant le retour de ma sœur partie m’acheter une nouvelle paire de shorts au Ardène. J’avais honte.  

            

Les « modèles » que j’avais à ma disposition ne représentaient en rien ma réalité. Dans les films, les filles « pètent des crises » et « claquent la porte de leur chambre pour s’isoler, devant leurs parents qui roulent les yeux ». Les règles doivent « demeurer dans le privé », « il faut cacher ses tampons dans de jolies pochettes colorées, à l’abri des regards d’autrui ». En tout cas, c’est ce que j’avais retenu de la vidéo explicative sur la puberté qu’on nous avait montrée en secondaire quatre. Pourquoi nous renvoie-t-on sans cesse à ces images alors que la réalité est toute autre ? Alors que nos menstruations se vivent dans le public, à l’école, au bureau ou même au cinéma ?            

            

 Les épisodes se répétèrent. Ça se déroulait toujours de la même façon : des mois d’attente et une surprise pourtant imprévisible. J’ai taché des jupes d’école, sali des chaises et ruiné une tonne de sous-vêtements. Je n’arrivais jamais à savoir quand mes menstruations allaient débuter. Je détestais mon utérus. Je lui en voulais. Il me menait la vie dure et je me sentais dégoûtante. Je déversais des litres de sang.

En une heure ou deux, je remplissais un tampon « super plus » : je n’avais aucun contrôle sur l’inondation entre mes jambes. Je me trouvais dégueulasse. Je détestais mes règles et maudissais l’injustice anatomique de mon corps féminin qui m’affligeait ce calvaire. J’étais loin de ces images que présentent les publicités de « produits hygiéniques féminins » : ces femmes en « parfaite harmonie » avec leur utérus qui dansent, courent et bougent comme si les douleurs abdominales n’existaient pas. Ces femmes qui ont étrangement le sang bleu si on se fie aux tests d’absorption des tampons présentés dans ces pubs. Un flux abondant ne semble pas être un souci pour elles, vêtues d’une paire de pantalons blancs. Elles ont l’air si confortables qu’on croirait qu’elles n’ont jamais senti les démangeaisons d’une serviette sanitaire mal placée. C’est donc supposé être ça, des règles « normales »?

         

J’ai alors essayé différentes méthodes de contraception pour « régulariser et calmer » mon cycle. Rien ne fonctionnait. Mon utérus n’en faisait qu’à sa tête et me donnait l’impression que je n’allais jamais gagner cette bataille contre mon propre corps. Des migraines, des pertes de sang quotidiennes, des douleurs paralysantes: que faire quand les menstruations deviennent un signe de danger pour soi-même ? J’avais honte de mon utérus qui fonctionnait tout croche. Être « une femme », était-ce avoir mal? Était-ce avoir honte ? Était-ce constater qu’une partie de soi ne t’appartient pas?

            

            

Un mélange de soulagement et de déception m’envahissait au constat de mon cycle de 50 jours, « anormalement » long selon mes recherches Google. Me revoilà au point de départ, mais moi, je me sens différente. Je l’aime mon utérus qui fonctionne tout croche. Je sens une connexion puissante entre nous. J’aime avoir mes règles et je suis fière de mon sang – je salue d’ailleurs le cinéma du DIX30 qui l’a accueilli. Les menstruations sont différentes pour tout le monde et c’est ce qui les rend si belles.  Dans mon cas, même si elles n’arrivent pas souvent, elles me font sentir bien. Elles me font sentir sexy, mais elles ne me définissent pas.  Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont des menstruations et ce ne sont pas seulement des femmes qui en ont non plus. Les menstruations me rappellent finalement que nous sommes fortes. Se battre contre le patriarcat avec un tampon entre les deux jambes, c’est badass.

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