Tape dans le dos collective et autres réflexions

J’aime beaucoup ce blogue. Je suis contente qu’il existe. Je suis fière de pouvoir y écrire, mais j’avoue encore plus aimer le lire, et suivre les discussions qui y prennent forment.

Pourquoi ?

En fait, c’est surtout parce qu’il s’agit d’un espace de discussion et d’information féministe, en français, et made in Québec. Je suis avec plaisir d’autres blogues féministes canadiens-anglais, américains et français, et j’aime bien lire Ms. ou Bitch – c’est-à-dire, quand je parviens à mettre la main sur une des trop peu nombreuses copies que l’on peut trouver en kiosque.

Mais bon. Ce sont des trucs qui viennent d’ailleurs, susceptibles de laisser croire à une féministe d’ici, relativement isolée et qui n’a pas fait son coming out quant à ses convictions, qu’elle est pas mal toute seule, dans la belle province, à penser comme ça, à ne pas rire de jokes sexistes, à se demander pourquoi le fâmeux Club Super Sexe défigure toujours le centre-ville de Montréal ou à avoir envie de grafigner en voyant les pubs de bière Coors et autres.

(À la Conférence Jane Doe, tenue à Ottawa, au mois de mars dernier, la professeure Elizabeth Sheehy faisait ce commentaire sur l’importance de se pouvoir de temps à autre se retrouver entre féministes : « Ça me permet de réaliser que ce n’est pas moi qui est folle après tout ! »)

Pour que le féminisme puisse continuer d’avancer, il faut que les féministes sortent de leur isolement, puissent se regrouper, et que de façon générale, le mouvement et la pensée féministes sortent de la marginalité dans laquelle ils ont été relégués depuis les dernières années.

C’est justement quelque chose qui manque à l’espace québécois : des médias ouvertement féministes et fiers de l’être. Bien qu’on soit, je l’avoue, inondés de « magazines féminins », il ne faudrait pas commettre l’erreur de penser que ce sont des publications féministes.

Entre vous et moi, la ligne est relativement mince de nos jours entre des magazines « spécialisés » pour messieurs et les Clin d’œil, Elle, Cosmo et cie. En partant, dans les deux, il y a des femmes nues ou autrement offertes, dans des poses aguichantes, infantilisées et soumises. Les femmes y sont définies comme objets de contemplation et de désir masculin, on leur y apprend comment plaire, et on y renforce toute la panoplie de stéréotypes sexuels issus de notre merveilleux système de pensée patriarcal.

Fréquemment, le message lancé aux lectrices est contradictoire.

En décembre dernier, j’ai entrevu par-dessus l’épaule d’une femme assise à côté de moi un article/photo shoot dans l’édition de janvier d’Elle Québec (en passant, quelqu’un peut-il m’expliquer cette obsession du mois en avance ?). Sans être capable d’en lire le texte, je m’aperçois que la mannequin a – mon Dieu ! – des courbes de femme normale pas photoshoppée. Joie ! me dis-je. Le féminisme a enfin triomphé. A la première occasion, je me précipite pour me procurer la revue en question. Je constate alors mon erreur : l’article parle de la mannequin en question, une « mannequin taille plus ». (Parce que « taille plus », c’est la taille juste au-dessus de « maigre à faire peur ». Y’a juste deux choix, vous pouvez pas vous tromper.)

Sans parler de cet autre article, d’il y a un an ou deux, dans un autre magazine féminin mainstream, qui décriait l’hypersexualisation des jeunes filles dans un article… qui était immédiatement suivi d’une pub de chaussures où figurait une Cristina Aguilera déguisée en écolière cochonne, un suçon suggestif à la bouche… Oua-che.

À d’autres moments aussi, le propos de ces magazines est carrément misogyne. Richard Martineau, dans un article récent paru – encore une fois – dans Elle Québec, discutait de la désirabilité sexuelle des femmes dans la quarantaine. Pas de quoi désespérer, nous rassure-t-il. Certains hommes ont des fantasmes d’attirance pour les femmes « mûres ». Autrement dit : à part certains déviants qui sont attirés par les femmes qui ont le même âge qu’eux, les hommes normaux ne bandent que pour des jeunes femmes fermes et lisses.

Si je peux me permettre un autre commentaire sur ce dernier article, je trouve déjà ça un peu weird l’idée que Richard Martineau ait été embauché pour prêcher dans ce magazine. Ce n’est pas que je n’apprécie pas complètement ce qu’il fait : c’est un homme qui écrit bien, qui fait généralement un bon travail éditorialiste et journalistique et qui n’a pas peur de s’exprimer. Mais avec respect pour M. Martineau, quand c’est le temps de parler des femmes et, particulièrement, de féminisme, il est souvent à côté de la track.

Disons que c’est pas exactement Gloria Steinem…

D’où le fait qu’un magazine féminin qui va expressément chercher cet auteur pour y publier une chronique éditoriale, c’est comme si la Société Saint-Jean-Baptiste demandait à Don Cherry de faire un discours inaugural. Comme le disait récemment un blogueur ici, c’est « compter dans son propre but ».

Toujours est-il que ces exemples mainstream démontrent une chose : que si ce blogue donne espoir aux féministes qui sont toujours « dans le placard » idéologiquement parlant, il faut aller plus loin, et occuper encore plus les autres espaces médiatiques (mais aussi politiques, littéraires et académiques) de notre société.

12 Comments

  • Maya
    18 avril 2009

    D’accord avec toi. Cet espace de discussion fait beaucoup de bien. Ne serait-ce que parce qu’une fois de temps en temps, quand mes amies me regardent comme si j’étais une extra-terrestre à cause d’un commentaire que je viens de faire, ça fait du bien de pouvoir se dire « Tu vois. T’es pas la seule à penser comme ça. C’est pas toi qui s’imagine des choses. » Tes exemples sont d’ailleurs très bien trouvés.

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  • Luc
    20 avril 2009

    Il faudrait être déviant pour être attiré par Martineau! 😛

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  • wallia
    20 avril 2009

    je comprends bien l’émoi que peut suciter en chacune de nous l’intolérable déception de ne pas être aimée pour ce que l’on est physiquement parlant, surtout qu’on a atteint un certain âge comme le mien.

    Pour autant, même à grand renfort de lois, on ne pourra jamais empêcher les hommes d’apprécier les jeunes femmes au physique avantageux.

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  • wallia
    20 avril 2009

    Je profite de l’occasion pour vous saluer toutes (et tous) car après plusieurs interventions faites ici je dois bien me rendre à l’évidence que je ne suis pas suffisamment en phase avec ce qui s’y écrit.

    J’ai plutôt tendance à me mettre gentiment en opposition avec les intervantes, sans doute mon côté vielle garde.

    Pour autant je n’ai pas envie de tomber dans le piège de la ‘critiqueuse’ systématique ou de la donneuse de leçons et je préfère donc m’en retourner donc vers d’autres cieux.

    Bonne continuation à vous.

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  • Loïc
    28 avril 2009

    Ben alors catherine, vous avez un physique ingrat ou quoi ???

    Quel mal y a-t-il à ce que les hommes préfèrent ragarder les femmes jolies, sexy et jeunes ???

    ce n’est pas pour cela qu’on va vous jeter des cailloux dans la rue, enfin !

    soyez nature et négligée si vous le souhaitez mais n’empêchez les autres femmes de prendre soin de leur apparence.

    C’est agaçant à la fin cette vision aseptisée de la femme vue par les féministes.

    allez, je me sauve de ce site qui sent le refermé à tous les sens du terme !

    ADIEU les frustrées !

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  • Stéphanie
    28 avril 2009

    Je ne m’adresserai pas à Loïc puisqu’il est parti (snif!), du moins officiellemment, mais j’aimerais souligner l’un des préjugés de ce donneur de leçons, à savoir qu’une femme « nature » est forcément négligée.

    Pour beaucoup d’hommes (et malheureusement beaucoup de femmes aussi), les soins sont ce que l’on voit le plus facilement. Une femme pourrait fumer, boire, se droguer et avoir des comportements sexuels à risque, du moment qu’elle a du rouge à lèvre et du mascarat, qu’elle « s’arrange » bien, elle est considérée comme soignée.

    Pourtant prendre soin de soi cela peut très bien vouloir dire faire de l’exercice, bien hydrater sa peau, utiliser des produits d’hygiène corporels plus naturels, mettre de la crème solaire, mettre du beau à lèvre, avoir une bonne alimentation, boire beaucoup d’eau, etc.

    Toutes ces choses échappent au coup d’oeil de celui qui cherche des « preuves » de soin dans le maquillage uniquement.

    Et ce préjugez-là, il sens vraiment le renfermé…

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  • Marianne
    28 avril 2009

    « ADIEU les frustrées ! » Ahahahahaha! 😀

    C’est fou comment une fille qui donne son opinion peut passer pour une enragée…

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  • Jonathan Belisle
    28 avril 2009

    Comme c’est dommage j’ai manqué Loic … On aurait pu parler entre hommes de la nouvelle vision qu’il faut développer afin de dépasser le patriarcat de notre société.

    Dorénavant je serai plus actif sur ce Blog qui représente pour moi un tremplin vers le dialogue.

    Je compte dépasser le discours convenu sur les relations hommes-femmes et m’avancer sur des terrains glissants comme l’exploration de la sexualitée et de la spiritualité.

    Je compte également amener vers ici des genres masculins singuliers capables d’aller plus loin que le bout de leur nez ou de leur queue.

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  • Gabriellelad
    4 mai 2009

    haha! C’est le genre de commentaires qui me fait toujours penser à Pat Robertson et sa célèbre citation: “Feminism is a socialist, anti-family, political movement that encourages women to leave their husbands, kill their children, practice witchcraft, destroy capitalism and become lesbians.”

    Merci Loïc de m’avoir bien fait rire ce soir 😛

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  • Hélène de Combys
    21 juin 2012

    Je pense qu’avant de prêcher le féminisme, il faut agir le féminisme.

    Je suis une jeune femme de 24 ans, sans aucun retrait de pilosité excepté mes cheveux qui dépassent rarement le pouce ou deux, sans aucun maquillage, avec des souliers bons pour les pieds, pas de soutien-gorge, du linge court en été mais confortable et non conçu pour attirer les regards, pas de bijoux, les ongles courts et nus, pas de bronzage artificiel, pas d’efforts pour être mince autrement que ceux nécessaires à une bonne santé, la musculature un peu plus développée que ce qu’on s’attendrait d’une femme, pas de parfums et j’en passe.

    Je ne parle presque pas de féminisme, excepté pour m’affirmer quand il y a des blagues ou des commentaires déplacés, m’ostiner quand il y a des débats ou essayer de montrer à mes amis de filles qu’on n’est pas obligées de se voir à travers les yeux des autres pour se sentir belle.

    J’ai un amoureux qui adore ça, que je me respecte et que je sois intègre. Après tout, toutes ces pratiques me sont soit dommageables pour le corps, soit coûteuses, soit dommageables pour l’estime de soi. Ou sinon, elles me semblent dépourvues de sens et je trouverais cela inutile de dépenser la moindre énergie là-dedans.

    À date, j’ai bien eu quelques oeillades curieuses ou méfiantes, mais très rarement j’ai rencontré des attitudes méprisantes. J’ai même eu des compliments.

    Alors je vous encourages toutes à AGIR le féminisme, quelle que soit votre vision de celui-ci.

    🙂

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