Robes, smokings et cocktail pour les filles et les garçons
Un moyen infaillible de s’étouffer avec son chai latte? 1) Prenez le quotidien La Presse édition du 22 juin; 2) Soyez enthousiaste à l’idée que vous allez y trouver du contenu fouillé et crédible; 3) Déployez le journal sur votre table aux pages 2 et 3; 4) Cherchez en vain l’article provocateur, l’analyse sociétale ou les images d’un pays souffrant; 5) Déçue, résignez-vous à lire l’article « Un bal avant le grand saut » portant sur le passage du primaire vers le secondaire… un événement souligné par un bal des finissants où les chics habits et précieux talents en danse (et peut-être, un copain?) sont de mise! D’après la journaliste, ces bals se multiplient dans la région de Montréal.
Abasourdie, je me questionne : « Suis-je si puritaine ou classique ? » Dans tous les cas, je demeure convaincue que les bals de finissants au primaire ne doivent pas être acceptés sans critiques (par les parents et les enseignants particulièrement) au risque d’être rationalisés et ainsi perpétuer moult stéréotypes et de promouvoir des valeurs axées sur la consommation (se référer à un de mes articles antérieurs « Bonheur en boîte et femmes consommées. »
Puisque les deux arguments mentionnés ci-dessus s’entrecoupent, il me semble important de les analyser simultanément.
Il me semble pervers que, « [v]êtus de robes de soirée et de smoking,» ces préadolescents (et non pas de jeunes adultes!) soulignent avec faste leurs six premières années d’études… où récréations et regards protecteurs de la part de leur enseignant.e ont bercé leur enfance. Loin d’affirmer que le passage au secondaire ne devrait être souligné, je suis d’avis qu’il est risqué d’inculquer des rituels adultes (parfois exagérés?) à des êtres quittant à peine l’enfance et qui, bien souvent, étudieront encore pendant dix ans!
De la même manière, je partage entièrement le point de vue de la sociologue Diane Pacom de l’université d’Ottawa qui affirme qu’ «[I]l y a un débordement de l’adolescence vers l’enfance. » En effet, il me semble difficile de saisir le message que l’on cherche à léguer aux jeunes du primaire, noyés sous une mer de vêtements chics, de cocktails non alcoolisés, de toges, de photos souvenirs, de diplômes et de danse.
L’importance de l’apparence et du clinquant, de la fête et de la séduction ne sera que normalisée par les clics des caméras numériques des élèves et de leurs parents! Pas étonnant donc alors que Mme Pacom souligne que par la transmission de valeurs esthétiques et plastiques, «c’est d’abord la société de consommation qui en profite.»
Edenne
Qu’en pensez-vous?
Selon vous, est-ce que les bals de finissants au primaire ont leur place au primaire?
Que les enfants sont jetés dans le monde de la consommation et de l’esthétique trop rapidement?
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Luc
Edenne, je suis d’accord avec vous à 100%.
Il est important pour une culture d’avoir des rites de passage qui soulignent les évènements importants de la vie. Le passage de l’enfance à l’adolescence est un de ces passages qui méritent d’être soulignés.
Cependant, il faut que le rite soit représentatif des valeurs que l’on veut transmettre dans cett eculture et aussi qu’il soit adapté à la transition qu’il met en lumière.
Le bal de finissant représente ainsi beaucoup mieux le passage de l’adolescence au monde adulte, mettant l’accent sur le couple, sur les stéréotypes genrés et sur les apparences. (Quelles valeurs nulles!)
Il faudrait trouver un rite de passage adapté à la situation des jeunes qui passent de l’enfance à l’adolescence. Le bal de finissant ne saurait que leur mettre une grande pression sur les épaules les forçant les jeunes à une pensée sexualisée trop précoce.
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Marianne
Je suis tombée là-dessus chez les (Z)imparfaites: Bal de finissants à la garderie
C’est pas un peu dément tout ça?
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Edenne
@ Luc: évidemment, la problématique du bal des finissants naît non seulement de la «nullité» des valeurs transmises par ce bal, normalement réservés aux futurs adultes, mais également par son caractère genré et de consommation. Cet événement se doit évidemment d’être questionner s’il prend place à l’enfance!
@ Marianne: Quelle discussion intéressante! En marge, l’auteure note que vivre 3-4 bals de finissants rend l’événement banal. C’est vrai. D’un autre côté, je me dis qu’il s’agit peut-être de nouveau moyen que de marquer l’âge des enfants, adolescents, adultes, alors que les rituels religieux tendent à disparaître…
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Joël
Je suis du même avis que toi Edenne. Merci de nous faire réfléchir à ce sujet…
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Thomas
Je crois que les organisateurs (la plupart du temps, des enseignants) de ces soirées festives tentent (probablement inconsciemment) de recréer grossièrement les rites de passage jadis naturellement établis par les traditions religieuses. Ainsi, l’idée du bal des finissants au primaire pourrait correspondre sommairement à celle de la confirmation, soit à un geste autonome visant à énoncer son appartenance à une communauté. Logiquement, l’équivalence n’est pas parfaite, mais force est d’admettre que notre société se cherche de nouveaux repères, aussi maladroits puissent-ils être.
Le point qui m’a agacé en lisant cet article est l’absence de remise en question de cet acharnement à tout célébrer. Pourquoi souligner la fin de l’enfance ou le début de l’adolescence?
L’adolescence est une période transitoire qui amène les jeunes à se positionner comme « presqu’adultes, » d’où le concept d’un bal de fin de cycle secondaire dans lequel les jeunes de 16 ou 17 ans jettent un regard sur le chemin parcouru durant les années passées. Une célébration justifiée, donc.
Par contre, un bal de graduation au niveau primaire prête une fausse maturité à des enfants qui sont trop rapidement exposés à une image de leur futur sur laquelle ils n’ont pas de pouvoir décisionel.
Merci, Edenne, d’avoir amené le débat! Je suis d’accord avec ton malaise face à ces pratiques douteuses…
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Thomas
Mes excuses! Je viens de me relire et j’ai constaté que le passage suivant peut porter à confusion:
« Le point qui m’a agacé en lisant cet article est l’absence de remise en question de cet acharnement à tout célébrer. »
Je réfère, ici, à l’article de La Presse, et non à celui d’Edenne, lequel j’appuie en y ajoutant un argument!
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Edenne
@ Thomas: En effet, le parallèle tracé entre les nouveaux «rituels» (à 200$!) et les célébrations religieuses est tout à fait pertinent.
Une société sans repères se doit de combler un vide spirituel par le matériel et le tape-à-l’oeil. Tout comme tu l’as si bien souligné, de même que la sociologue Pacom, le désir de tout célébrer, et plus particulièrement des réalisations (remarquables?) de l’enfant dépeint dans quel environnement (absurde? déconnecté?) les enfants post-2000 vivent. Troublant.
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Loïc
*
moi aussi je suis partisan du fait qu’on n’accorde pas aux autres ce qu’on s’accorde à soi-même.
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Luc
Thomas: Je trouve que c’est une étape importante de la vie entre l’enfance et l’adolescence qui mérite d’être soulignée. On devient beaucoup plus autonome, sexuellement éveillé, nos gestes ont de plus en plus de conséquences graves sur notre avenir et sur ceux qui nous entourent, on passe de l’acceptation de l’autorité parentale à son rejet, etc.
Bien sûr, un bal n’a rien à voir avec ce passage.
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Caro
C’est bizarre, justement, lundi c’était le bal de finissant de ma petite cousine, elle passe au secondaire l’an prochain…
D’un côté, je l’enviais, puisqu’étant jeune, je n’avais pas eu de bal, et je me souviens que je ressentais le besoin d’avoir une fête d’adieu avec ces amiEs qui avaient fait partie de ma vie pendant 7 ans.
Mais de l’autre, je trouvais absolument dérangeant de voir toutes ces petites filles vêtues comme des adultes, avec robes à crinolines, talons « hauts », et petits sacs à main (pour y mettre le fameux appareil photo numérique!).
Peut-être que c’est aux parents justement de mettre des limites. Je crois que la fête d’adieu est importante, mais qu’il y a certains rituels non nécessaires, tel que l’habillement dispendieux et la cérémonie de 1h30 pour remercier tout le monde!
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Fanie
Je suis d’accord avec Caro. Je crois que c’est aux parents de mettre les limites à leurs enfants mais, en même temps, les gens qui organisent ces fêtes devraient le faire, également.
Les rites de passages sont importants, mais il me semble qu’ils pourraient utiliser un autre terme que le « bal de finissants » pour désigner ce rite. Il y’a tellement de connotation adulte relié à ce terme.
Je m’embarque dans un autre sujet, mais on dirait que les parents d’aujourd’hui ont peur que leurs enfants « manquent » de quelque chose. Serait-ce notre société de consommation et de performance qui les poussent à cela? :-/
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Stéphanie
C’est peut-être l’infuence des émissions de télé-réalité mais j’ai toujours l’impression qu’on cherche constamment à se faire accroire que tout les évènements de notre vie (ou de celles de nos enfants), du plus insignifiant au plus important, méritent d’être considérés comme passionnants et dignes de passer à la postérité.
Tout ces moments doivent donc être immortalisés avec des tonnes de photos, vidéos, souvenirs, etc. J’ai lu un jour la réflexion d’une dame âgée qui tenait un journal intime depuis des années. Elle disait « Je n’ai pas l’impression de vivre, mais lorsque je lis mon journal, j’ai l’impression d’avoir vécu ».
Sommes-nous trop affairé(e)s à documenter notre vie pour la vivre réellement?
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Luc
Stéphanie: On ne fait pas passer notre temps à documenter notre vie, avec la photo numérique et la publication Internet, on s’en crée une nouvelle. Mes jeunes amis sortent dans les bars et s’y emmerdent, mais ils sourient comme si ils avaient le fun de leur vie sur chacune des 50 photos qu’ils prendront durant la soirée s’inventant ainsi une vie rêvée parfaite. On est tous si cool sur Facebook…
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Edenne
L’idée selon laquelle nous sommes « trop affairé(e)s à documenter notre vie pour la vivre réellement» ouvre les portes à une nouvelle réflexion; néanmoins, cette même réflexion n’en demeure pas moins pertinente.
En effet, l’omniprésence du numérique et de l’image peut être considérée comment étant un levier significatif à l’importance accordée à l’image, une valeur que l’on injecte de plus en plus rapidement à de jeunes adultes, des adolescents, et, dans un autre temps, à des enfants.
* Je vous invite à faire la lecture de l’excellent recueil de jeunes artistes québécois sur les années 2000s, Quelque part au début du XXIe siècle, un ouvrage comportant notamment un essai sur l’omniprésence du numérique qui va comme suit:
«Les année 00: démocratisation numérique de la photographie, sa prolifération, son omniprésence. L’inépuisable se combien à l’instantané et entraîne une avalanche de photos souvent formellement naïves, floues, à la composition négligée, éclairées par un flash grossier. Elles seront inévitablement mises en ligne afin d’être vues par tous, amalgamées à une collection débordante de clichés documentant maladivement tant les moments magiques que banals, rangées sous le vague titre souvenirs , gavant nos disques durs déjà trop pleins de MP3. Je point and shoot parce que je peux clic clic clic…»
-Éric DEMAY, «Je point et je shoot , donc je suis» dans Quelque part au début du XXIe siècle aux éditions de La Pastèque.
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Luc
« – … Dès que vous avez commencé, répétait-il, il n’y a aucune raison pour que vous vous arrêtiez. Il n’y a qu’un pas entre la réalité qui est photographiée en ce qu’elle nous apparaît belle et la réalité qui nous apparaît belle en ce qu’elle a été photographiée. Si vous photographiez Pierluca en train de bâtir son château de sable, il n’y a aucune raison de ne pas le photographier quand il pleure parce que le château s’est écroulé, et ensuite pendant que la nurse le console en lui faisant chercher un coquillage dans le sable. Il suffit que l’on commence à dire de quelque-chose: « Que c’est beau, il faudrait vraiment le photographier! », et on est aussitôt sur le terrain de ceux qui pensent que tout ce qui n’est pas photographié est perdu, que c’est comme si ça n’avait jamais existé, et que donc, pour vivre vraiment, il faut photographier le plus possible, et que, pour photographier le plus possible, il faut : soit vivre de la façon la plus photographiable possible, soit considérer photographiable chaque moment de son existence. La première voie conduit à la stupidité, la seconde à la folie. »
Extrait de « L’aventure d’un photographe » d’Italo Calvino
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Edenne
«…vivre de la façon la plus photographiable possible, soit considérer photographiable chaque moment de son existence.» semble bien résumer l’obnubilation de l’image et ce désir perpétuel de s’exposer nous animant…
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Marie-Eve
Ouff… on est bien loin des kermesses auxquelles nous avions droit à chaque fin d’année avec concours, jeux, défis et maquillages.
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Marjorie
Voici un site qui cerne très bien la démesure des fêtes d’enfants: http://birthdayswithoutpressure.org/ Bonne lecture!
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