Victime de la pub

J’ai perdu 15 kilos, au prix de nombreuses souffrances. Je me suis fait arracher les dents de sagesse, afin d’avoir les joues plus creuses. J’ai fait boucler mes cheveux, puis je les ai fait lisser. Et, alors que je n’ai que 24 ans, je me ruine déjà en crèmes, masques et autres onguents anti-âge et anti-rides.

Et tout ça, pourquoi ? Parce que, comme 99% des femmes de la société moderne occidentale, je suis une victime de la pub.

Ca me rend malade, au sens le plus strict du terme, de devoir sacrifier l’être au profit du paraître, mais j’ai bien l’impression que je n’ai guère le choix : pour être pleinement femme selon les rigoureux critères actuels, et avoir simplement le droit d’exister aux yeux des autres, j’ai le sentiment de ne pouvoir déroger au devoir d’être et de rester une jolie poupée souriante, aux formes (ou plutôt à l’absence de formes) longilignes et qu’être déprimée, soucieuse ou bêtement malade m’est tout bonnement refusé sous peine d’être rejetée, corps et âme, par ce XXIème siècle naissant qui, ô comble du paradoxe, prône pourtant la tolérance comme valeur suprême.

Depuis ma métamorphose en pin-up, véritable panneau publicitaire à la gloire de l’esthétisme contemporain, le regard des autres sur ma personne a changé du tout au tout, et ainsi, l’on semble me vouloir tellement plus comme comparse, comme copine, voire comme amante ou objet de désir. Et alors que le vilain canard que j’étais à l’adolescence se serait damné pour un tout petit regard qui n’aurait pas été inamical, l’ersatz de cygne que je suis devenue depuis lors ne demande maintenant plus qu’une seule chose : qu’on ne me regarde plus… qu’on m’écoute ! Mais là, je crois que je demande l’impossible : à l’heure actuelle, les gens sont tellement abasourdis par le bruit de leurs propres angoisses qu’ils en restent complètement insensibles à celles des autres. J’ai ainsi pris le parti de continuer à jouer le jeu : continuer à exhiber au vu et au su de tous cette adorable marionnette qu’ils semblent tant apprécier.

Demain, je tenterai l’expérience la plus téméraire de toute mon existence : je ne me laverai ni les cheveux ni les dents, je porterai mon training le plus crade et le plus informe, je me recommencerai à me ronger les ongles et me mettrai publiquement les doigts dans le nez. Juste pour voir si j’existerai encore…

 

9 Comments

  • Daphne
    10 février 2014

    Vous avez raison, c’est complètement fou les messages que les femmes reçoivent via la pub et toutes les images qui nous sont transmises quotidiennement. Images plus irréalistes que jamais car retouchées par informatique. Tout cela laisse une empreinte en nous, qu’on le veuille ou non. En un segment publicitaire, notez le nombre de pubs visant l’apparence des femmes (crèmes anti-âge, épilation, chevelure, minceur, etc.). ‘Vous le valez bien’ dit la pub. J’aimerais valoir plus que ça! Une féministe (dont j’oublie le nom) a dit (traduction approximative): ‘les hommes voient leur corps comme un instrument pour appréhender le monde, les femmes comme un projet en perpétuelle construction’ (généralisation, bien sûr, mais on comprend l’idée).

    Merci de dire ce que vous dites; c’est important de le faire, de dire, d’être consciente d’où nos actions viennent, de remettre en cause. Je peux vous dire qu’à l’aube de la quarantaine et après deux grossesses, alors que mon corps présente beaucoup plus de ‘défauts’ que lorsque j’étais plus jeune, je me sens malgré tout beaucoup mieux dans ma peau aujourd’hui, et ce sans crème ni régime 🙂 En fait, peut-être bien que c’est depuis que j’ai relégué crème et régime aux rebus et que j’ai décidé d’arrêter de m’en faire que cela s’est amélioré. C’est un processus et je dis qu’il ne s’agit pas ici d’apprendre à s’aimer mais plutôt de désapprendre à s’haïr (ce que la société patriarcale capitaliste s’évertue à faire).

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  • Victoria Welby
    10 février 2014

    Désapprendre à s’haïr, c’est très joli, comme expression (et tellement vrai!).

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  • Claudine
    10 février 2014

    L’apparat c’est toujours l’apparat. Bienvenu dans un monde où on peut choisir quand et pourquoi on se force pour être belle, quand on se laisse pousser le poil, quand on dit ces mots vulgaires ou quand on se tait… Bienvenu dans un monde où on peut s’adonner à être soi-même, en tant qu’être social, avec notre cycle de désir intrigant.

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    • Daphne
      13 février 2014

      Il ne faudrait pas croire tout de même que nos choix ne sont pas contraints. Je peux bien décider que je me laisse pousser les poils mais si je veux aller à la plage, je peux difficilement faire ce choix avec celui de vouloir passer inaperçu…

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