Coming out, conférence de presse… et Ellen Page

« On est seul[e] jusque dans sa propre solitude. Toujours inconcevable. Toujours dangereux. Oui. Un prix à payer pour avoir osé sortir et crier. »

– Marguerite Duras, Écrire, p. 31

« […] the transformation of silence into language and action is an act of self-revelation, and that always seems fraught with danger. »

– Audre Lorde, Sister Outsider, Essays and Speeches, p. 42

Dès le jour où j’ai assumé mon identité lesbienne, il m’a semblé facile d’en parler. Je l’ai mentionné souvent, notamment dans les articles que j’ai écrit pour LSTW, un site web dédié à la communauté lesbienne. J’en ai même parlé ouvertement dans un cours sur la santé des femmes à l’université, en déclarant que ça informait la recherche sur laquelle je planchais à ce moment-là. Bref, on pourrait croire que j’ai toujours été ouverte à ce sujet. Mais voilà, récemment, j’ai compris que si je dévoilais sans difficulté que j’étais lesbienne c’était à l’intérieur d’espaces que je considère sécuritaires.

Et puis voilà que la chienne m’a pognée…

Je travaille depuis un an déjà sur un projet de conférence-performance avec deux collègues féministes, dans lequel nous questionnons la nécessité d’appliquer une analyse féministe dans la pratique du théâtre. Nous combinons faits réels et fictifs, slam, humour et théâtre. En tout début de spectacle, nous interprétons chacune un segment dans lequel nous expliquons comment nous sommes devenues féministes. Cette partie du spectacle, qui se voulait d’abord un exercice pour comprendre la genèse de notre féminisme, a finalement donné quelque chose de très personnel. Nous nous commettons, de différentes façons.

J’ai fait le choix, donc, de me commettre, dans cette conférence-performance et de dire que je tiens mon féminisme de mon coming out en tant que lesbienne. Parce que oui, sur une scène de théâtre, un jour, quand j’ai interprété un rôle dans une pièce de théâtre obscure de Marguerite Duras, j’ai su. J’ai fait le choix, conscient, donc, de partager mon expérience à travers une performance artistique. Je l’assume et j’en suis fière. Ce segment de « comment je suis devenue féministe » est intégrée dans la conférence-performance et il a été présenté pour la première fois aux États Généraux de l’action et de l’analyse féministe, en novembre 2013.

Notre projet fait des petits, comme on dit. Nous avons été invitées à participer à la soirée d’anniversaire des 25 ans de la Table de concertation en condition féminine de Laval. Le 11 février dernier se déroulait leur conférence de presse, à laquelle nous avons été cordialement invitées à présenter un extrait de notre conférence-performance. Une de mes collègues a suggéré que nous interprétions chacune un extrait d’une minute de notre fameux « comment je suis devenue féministe ».

En relisant mon propre texte, j’ai vite compris que le moment le plus fort de mon coming out féministe était sans contredit celui ou je dis « [e]t je pense que ma conscience féministe a commencé à émerger, à cet instant précis, pour de bon, quand j’ai assumé que j’étais lesbienne. »

Croquis de Catherine Hotte

Croquis de Catherine Hotte

Et c’est donc là, que la chienne m’a pognée. Allais-je vraiment dire, en conférence de presse, que j’étais lesbienne ? Même dans un extrait de spectacle qui semble relever de la fiction ? Pour la première fois, nous sortions de l’espace sécuritaire où nous avions l’habitude de présenter la conférence-performance, c’est-à-dire des espaces académiques et communautaires féministes. Pour la première fois, la technologie allait s’en mêler. Mon coming out lesbien et féministe serait accessible dans l’aire médiatique.

La chienne m’a pognée parce que…

Parce qu’une conférence de presse, c’est différent. Une conférence de presse, c’est court, c’est hors contexte. Faire un extrait de spectacle, pendant une conférence de presse, j’ai toujours trouvé ça hors contexte. Une conférence de presse relève de l’auto-promotion, d’une forme d’individualisme populaire, de promotion médiatique et capitaliste. Dans une conférence de presse, il y a un risque de récupération, d’effet boule de neige, le risque d’être mal citée. Même si c’est une conférence de presse concernant les 25 ans d’un organisme féministe. Même si.

Une de mes collègues avait de la difficulté à comprendre pourquoi j’avais peur. Pour elle, mon coming out lesbien est féministe et elle pense que ça trouve écho chez beaucoup de femmes. Oui, d’accord. Elle a raison. J’ai toujours défendu l’identité lesbienne comme une position politique, une nécessité d’en être fière, de la revendiquer. Reste que je me mets en danger. Pour reprendre les propos de mon amie Gabrielle Bouchard (pour ne pas la nommer), se définir féministe, qui plus est lesbienne, c’est prendre un risque. C’est se mettre en danger, c’est exposer sa propre marginalisation au sein de cette société hétéropatriarcale, peu importe ce qu’en diront certaines. Je suis désolée, l’idée d’une société de plus en plus ouverte, d’un Québec de plus en plus tolérant, respectueux, name it, je n’y crois pas. Alors sortir mon extrait de son contexte et le placer dans une situation de conférence de presse, oui, la chienne me pogne.

Malgré tout, j’ai choisi de le lire cet extrait, en conférence de presse. J’ai choisi de le faire.

Bien sûr, comme on devait s’y attendre, une femme est venue nous voir à la fin de la présentation pour nous demander tout bonnement si « tout ça c’était du théâtre ou si c’était vrai. »

J’ai souri, quand mes collègues ont confirmé qu’il s’agissait bel et bien de la réalité.

Les organisatrices nous avaient demandé si elles pouvaient faire un montage vidéo de l’extrait dans le but de promouvoir l’événement. Nous avions accepté. Bien sûr. Et donc, un article de journal sort, puis un lien vers la vidéo de la prestation. Et puis voilà.

Oui, voilà. J’ai la chienne.

Quelques jours plus tard, voilà qu’Ellen Page apparaît sur Human Rights Watch. Stressée raide. Je l’ai trouvée belle. Quand les gens se sont levés pour l’applaudir, pourtant, j’ai ressenti un malaise. Bravo fille, tu fais partie de la gang ? Bravo fille, c’est pas facile ? Bravo fille… quoi ? Pourquoi on l’applaudit ?

Parce qu’elle se commet. Elle risque. Elle a peur. La chienne lui pogne aussi, à Ellen Page.

Il y avait Adrienne Rich, dans les années 80, qui disait que « the personal is political, » que ce qui a trait à la sphère privée des femmes est aussi politique, dans la mesure où leurs revendications devaient être entendues publiquement pour que surviennent des changements sociaux quant à leurs situations. Je suis toujours d’accord avec cette affirmation. Davantage, je pense que la visibilité lesbienne est importante, nécessaire, parce que c’est politique, parce que ça relève d’un mode de pensée précis, d’actions et de questionnements distincts, propres aux réalités lesbiennes.

Mais j’aurais envie de dire que si la sphère privée est politique, le politique, donc, s’incarne dans cette sphère privée. Par privée j’entends intime, de l’ordre des sentiments, des émotions. Et que même si faire son coming out en tant que lesbienne dans une conférence-performance féministe représente un statement politique en soi, reste que le point de départ, l’endroit où s’entame la réflexion du coming out, c’est encore et toujours le lieu physique, c’est-à-dire, la personne qui se dévoile, qui se commet. Avant de devenir politique, voire même collective, la revendication prend sa source dans le corps et les émotions. Avant que la société se lève pour te remercier et te féliciter de faire avancer une cause, tu es seule, avec ton corps et tes émotions. Et tous les dangers que ça implique.

En repensant à tous les tics nerveux qu’avait Ellen Page lors de son passage à HRW, je me dis qu’elle serait peut-être d’accord avec moi.

Marie-Claude Garneau

 

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