Chère perfection, que tu es laide

À tous les jeunes en quête d’une perfection illusoire

Tu me dis que tu es moi, chère perfection, que je suis parfaite comme je suis. Comment te dire à quel point je me déteste? Comment te croire, moi, jeune insouciante victime des préjugés de la société moderne et évoluée qui est mon berceau? Comment te faire comprendre que ma perfection n’est pas celle du système?

Dégueulasse. Ark. Ouach. Répugnante. Honteuse. Basse. Ignoble. Infâme. Vile. Abjecte. Méprisable. Ignominieuse. Désagréable. Affreuse. Hideuse. Abominable. Vilaine. Disgracieuse. Déplaisante. Laide. Horrifique. Calamité. Sac de merde. Grosse. Poche. Moche. Gauche. Bête. Plate. Face de vagin slaque.

Ça, c’est ce que je suis. Et j’en suis sûre parce que c’est ce que mes ami/es, mes parents, mon chat, la fille qui me vend des jeans délavés pleins de poussière de silice de chez Garage, les publicistes surpayés, les requins de l’industrie du mannequinat et la société me disent. Ce sont tous des sources crédibles et fiables parce que ces personnes me voient d’un point de vue extérieur et savent comment me caractériser.

Alors quand tu me dis que tu es moi, chère perfection, je ne peux te croire. Quand je vois la face de vagin slaque que je suis dans le miroir, que j’observe mon visage d’ado mal dans sa peau et acnéique, que je prends mes seins en coupole pour remarquer leur terrible absence, que je me tâte le ventre en désespérant sur la quantité énorme de tissus adipeux que je couve, que je pose mes yeux sur ces hanches qui s’élargissent, que je pense à ma future vie de célibataire frue, à tous ces pénis qui me fileront entre les doigts à cause de mon incapacité à répondre aux critères de beauté, je me dis que tu es mensongère.

Heureusement que l’industrie du maquillage est là pour m’aider à te croire. Plus je blend, plus je te ressemble. Même si je suis pognée avec un problème de surconsommation, j’ai l’espoir qu’un jour, tous ces fards, ces poudres, ces crèmes, ces tubes de mascara, ces crayons, ces éponges ne seront plus nécessaires pour cacher ma laideur, mais je sais que je rêve en couleur.

Et que dire de tous ces poils! Ils sont partout. Ils me couvrent le corps en entier, comblent tous les espaces possibles, en passant par la crevasse formée par mes sourcils, maculant la tête de ma lèvre supérieure et foisonnant sur mon mont de Vénus. Une chance que cette déesse m’offre les instruments pour me débarrasser de ces intrus. Ainsi, à chaque follicule pileux assassiné, je me rapproche de toi.

Mes dents. Mes dents. Mes dents. Je n’ai même pas besoin de te dire à quel point elles doivent être blanches pour que je sois un minimum regardable. Je ne mange plus de betteraves, de chou rouge, de fraises, de chocolat, d’épinards, de tomates, d’agrumes et de bleuets. Je ne bois plus de café, de chocolat chaud, de thé, de jus saturés de colorants alimentaires, de vin rouge, de jus de tomate, bref tout ce qui représente un risque pour la blancheur de mon émail ne passe pas mes douanes.

Mais ça me convient parfaitement, parce que l’évitement de tous ces aliments me permet d’atteindre plus rapidement mon tour de taille et mon poids santé. Merci, Shape On!

Tout ça pour te dire, chère perfection, que tout ce que tu sais faire, c’est enlaidir la société et qu’au final, tu es mon plus grand défaut.

Vivianne Lapointe,

Parfaitement imparfaite.

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