Féminisme universitaire et white gaze : Qui peut théoriser l’expérience des femmes arabes ?

Quand je me suis réveillée ce matin j’ai vu la programmation de l’Université d’été féministe à l’UdeM et j’ai remarqué qu’une femme blanche parlera de l’islamophobie. Cela m’a frappée, car je m’attendais à voir un nom Arabe avec lequel je peux m’identifier.

À la base, il est difficile pour une femme immigrante racisée de prendre sa place dans le milieu académique à cause de sa structure qui est fondamentalement raciste : par exemple, les bourses d’excellences sont généralement réservées aux élites qui étudient dans leur langue maternelle et qui n’occupent pas d’emploi. Or, lorsque nous nous trouvons face à une université d’été féministe (qui se prétend en faveur de la diversité) en train de mettre sur un piédestal le travail d’une femme blanche sur un sujet qui touche les femmes racisées, cela renforce l’écart entre les élites et “les autres” en invisibilisant l’existence des femmes arabes et musulmanes dans le milieu académique.

Kant a dit : «La théorie sans la pratique est inutile, la pratique sans la théorie est aveugle.»

Pourquoi serait-il alors pertinent d’écouter une femme parler de l’immigration, du racisme, de l’islamophobie si elle ne l’a jamais vécu ? Cette attitude provient d’une prétention à l’objectivité fautive qui est ancrée dans la philosophie occidentale et qui a pour but d’imposer, en universalisant, une vision qui déforme la réalité.

white-gazeCe genre de pratique a pour conséquence de renforcer une vision occidentale sur des problèmes vécus par des personnes non-occidentales, de regarder le monde à travers les yeux des blancs. Toni Morrison appelle cette vision la “white gaze” qui vient déstabiliser l’expérience des personnes racisées dans le discours. La white gaze s’efforce d’expliquer, de vulgariser et de traduire l’implicite de façon à le rendre compréhensible pour des personnes blanches. Certes, cela est nécessaire dans un discours universitaire, mais cela freine l’avancement de la recherche faite par et pour les personnes concernées. Cette adaptation cause une certaine déformation dans la forme de l’expérience : l’analyse dans le modèle académique occidental est largement dialectique et dans cette binarité le sujet “blanc” prend beaucoup de place et détourne l’attention du sujet racisé. Ce détournement retranche toute dimension de notre expérience qui n’a pas été traduite et adaptée à l’académie occidentale et ainsi à sa méthode de recherche : la méthode de recherche d’une personne blanche sera toujours adaptée à ce qui est plus tangible pour elle.

Finalement, je rappelle qu’un.e allié.e se démarque par l’usage de son pouvoir pour donner la parole aux personnes concernées, sinon il serait préférable d’accepter la limitation de l’entendement humain qui est loin d’être objectif, surtout en ce qui touche des expériences vécues et historiquement muables.

6 Comments

  • Karina Chami
    8 juillet 2017

    Allons, allons mademoiselle, comme vous y allez! Ce que je lis dans votre article est le procès fait in absentia par une femme à une autre femme, alors que l’accusée n’a pas encore été entendue.

    Pour couper court au discours victimaire, je suis, moi aussi, issue de l’immigration, et je suis originaire, moi aussi, d’un pays dit arabe et musulman. Moi aussi, j’ai été choquée lors de la toute première conférence à laquelle j’ai assisté dans une université québécoise sur la condition autochtone de ne voir que des non autochtones parmi les conférenciers et conférencières et j’y avais pris la parole pour dire mon étonnement et, jusqu’à un certain point – car le discours des conférenciers prenait la défense des droits des autochtones – mon indignation face à la grande absence des premiers concernés.

    Cependant, vous n’avez pas encore entendu le propos de Mademoiselle Corbeil à sa conférence et rien dans votre article n’indique quelle a été sa démarche de terrain ni son point de vue.
    Il serait grave d’ôter à quiconque la légitimité de parler d’une situation qu’il ou elle ne vit pas de l’intérieur. Si on avait procédé ainsi, on aurait interdit à tous les occidentaux de participer activement – et parfois au prix de leur vie – à l’indépendance de nombreux pays colonisés. Que faîtes-vous de la solidarité humaine?

    Je tiens par ailleurs à vous dire mon profond malaise face à votre langage extrêmement « racisant » (je mets ce mots entre guillemets parce qu’il est une injure à la seule race commune à nous tous: la race humaine). Vous parlez bien sans avoir le courage de la nommer de Mme Corbeil en utilisant ce vocable: « une blanche »? Je vais vous faire une confidence Mademoiselle Alboukhari: je ne me suis jamais sentie racisé en 21 ans de vie québécoise. Je peux même vous dire pourquoi: j’ai lu, en arrivant, les auteurs Québécois. Et j’ai découvert que le p’tit cul de la ruelle, c’était n’importe quel enfant du monde, et la madame qui trime pour sa liberté et celle de ses enfants, c’est n’importe quel femme de monde. C’est moi, c’est vous.

    Cessez de vous percevoir comme racisée, lâchez la victime, écrivez une belle présentation, arrangez-vous pour qu’elle soit à l’affiche de la prochaine programmation universitaire et décrochez-nous vite une bourse d’excellence. Vous êtes une grande fille fort capable de le faire. La racisation, c’est d’abord dans le regard de ce lui ou celle qui se perçoit comme tel(le).

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    • Caroline R.
      8 juillet 2017

      Bonjour Karina,
      Nous avons bien lu votre commentaire. Nous vous remercions pour votre intérêt. Nous comprenons que cet article provoque des réactions, et c’est normal. Toutefois, nous nous devons de faire un rappel à l’ordre.
      Les très longs commentaires (comme le vôtre) sont normalement effacés, puisqu’ils tendent à ne rien apporter au débat. Aussi, nous vous prions de ne pas utiliser la moralisation ni l’impératif pour vous adresser à l’autrice. Cela donne l’impression que vous vous croyez supérieure à cette dernière et n’invite pas aux discussions honnêtes et constructives. Vous avez droit à votre opinion, mais de là à donner des ordres aux autrices: non.
      Pour plus d’informations, merci de consulter notre Charte des commentaires: https://jesuisfeministe.com/charte-des-commentaires/
      Bien à vous,
      Caroline pour l’équipe d’administration de JSF

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      • Pop the banished one
        9 juillet 2017

        Je vous en supplie, dites-moi que c’est une blague ce commentaire, Caroline. Belle diversification d’opinion chez les féministes…#not

        Le féminisme universitaire québécois est devenu un dogme : pense comme nous, sinon on veut pas t’entendre…

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      • Helene
        11 juillet 2017

        Comment pouvez-vous dire que les longs commentaires n’apportent rien au débat? Préféreriez-vous un commentaire de remerciement d’une ligne ou deux pour favoriser la discussion? Le commentaire de Karina est au contraire étayé et argumenté. Votre réponse, fondée uniquement sur des points de modération, parait en revanche ridicule et obtuse, et dessert grandement la cause que vous défendez.

        Peut-être pourriez-vous prendre le temps de répondre aux éléments constructifs du commentaire de Karina – et ils sont nombreux – plutôt que de botter en touche d’une façon lamentable.

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  • Elsa Moulin
    8 juillet 2017

    Très intéressant cet article, le 1er commentaire et le rappel à l’ordre. Ayant moi-même un goût pour la polémique (je suis d’origine française!) j’ai beaucoup appris de mon groupe Facebook des féministes du Saguenay-Lac-St-Jean où toutes s’expriment toujours avec courtoisie et accueil les prises de parole les plus diverses et les plus extrêmes avec beaucoup de respect. Moi le 1er commentaire ne m’a pas choqué, mais je comprends votre réaction. Comme si les femmes inventaient une prise de parole nouvelle, différente de celle des hommes qui – traditionnellement en tous cas – s’expriment pour avoir le dernier mot.

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  • Elsa Moulin
    8 juillet 2017

    Et j’ajoute que je suis admirative du travail de l’équipe qui est aussi attentive à la lecture des articles qu’à celle des commentaires: bravo!

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