Comment la biphobie affecte mon quotidien

 

NDLR : Ce texte est publié simultanément sur Je suis féministe  et sur le site du Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ) dans le cadre d’une nouvelle collaboration.

Crédit photo : Nathan Rupert / http://bit.ly/2ieGEY3

Ayant été en couple avec des filles durant toute mon adolescence, j’ai « sauté la clôture » vers le début de la vingtaine avec celui qui est aujourd’hui mon époux et j’ai abandonné l’identification lesbienne quelques années plus tard. Pourquoi ce décalage ? Outre le fait que j’avais l’impression qu’on me collait l’étiquette « straight » en travers de la gorge, j’avais du mal à expliquer mon amour du mot «lesbienne» pour me qualifier. Aujourd’hui, alors qu’une de mes amies très proche vit la même chose, je comprends mieux ce qui s’est produit, et je veux vous parler de biphobie.

 

Bien sûr, j’étais déjà alerte sur quelques phénomènes de biphobie ordinaire. Le fait que les nouvelles personnes que je rencontre me présument toujours hétérosexuelle et encore davantage lorsque j’affiche ma relation avec un homme, par exemple. Le fait qu’on me demande inévitablement pourquoi je précise toujours que je ne suis pas hétérosexuelle, aussi.  Le fait qu’on me voit comme « quelqu’une qui cherche de l’attention » quand je parle de mon attirance envers des femmes ou de mon « ancienne vie de lesbienne », t’sais. Paradoxalement, le fait qu’on dise toujours dans ma face que « oui, mais vous, les bi, vous n’êtes pas visibles/affiché.e.s ». Sérieux ?

 

Bref, tout un tas de microagressions.

 

Aujourd’hui, je me rends compte que mon petit feeling intérieur de « perdre ma culture » et de ne plus être vue pour qui je suis n’était finalement pas si niaiseux, malgré ce qu’on me disait pour me faire taire. Être lesbienne, ça vient avec des codes et une appartenance à une ou des communautés. Bien sûr, on est libres de ne pas les suivre. Libres de ne pas « se tenir dans le Village et s’afficher à chaque instant », mais il reste qu’on est incluse dans quelque chose.

 

Quand on se met à fréquenter un garçon, on se sent comme une paria. Comme une traitre qui a choisi la facilité. C’est l’image que les communautés lesbiennes et gays*  construisent de nous. On se sent aussi dégueulasse ou loser « d’avoir abdiqué », surtout si notre fréquentation ou les gens autour de nous nous font des blagues du style « tu vois, t’as enfin trouver la bonne queue ! », «je t’ai convertie grâce à mon magic wand » ou bien « bon, ta passe est finie ». Like, really ?

 

Sentir le soulagement de certaines personnes, aussi. Que ce soit les parents, les ami.e.s straights ou les collègues qui sont ENFIN à l’aise de ne plus avoir à nous entendre parler d’une relation homosexuelle ou qui sont maintenant très enthousiastes de  nous voir dans une relation hétéro. On a beau être heureuse avec le nouveau petit ami, ça blesse droit au cœur de recevoir ces réactions.

 

On a peu de place pour en parler. On sent qu’on va paraître niaiseuse ou capricieuse d’être blessée de la joie de certain.e.s de nous accueillir « parmi les straights » et de ne plus être « dans la gang » des « plus marginalisées ». Être lesbienne, ce n’est pas tout rose, pourquoi voudrait-on être dans cette communauté plutôt qu’entre deux chaises ? Pourquoi refuse-t-on d’être hétérosexuelle, au sommet de la pyramide des privilèges d’orientation ?

 

C’est dur à dire. Pour moi, c’est renier qui je suis que de ne pas afficher que je ne suis pas hétéro. Mon orientation est beaucoup reliée à mon sentiment d’appartenance à des communautés dans lesquelles je me sens bien, dont j’adore les codes, auxquelles je m’identifie. Anyway, je ne sais pas ce que c’est que d’être hétéro. Je n’ai jamais cru l’être. J’ai l’impression de vivre un gros mensonge quand je laisse les gens me percevoir ainsi.

 

Je ne sais pas si les bisexuel.le.s ont une culture propre, mais je crois que nous avons besoin de plus d’espaces pour nous retrouver et échanger. De milieux où on n’aura pas peur d’être rejeté par une date du même genre parce qu’on a déjà vécu une relation hétéro. Après tout, beaucoup de lesbiennes rejettent les femmes qui ont déjà couché avec des hommes (surtout s’ils étaient cisgenres) et qui ont aimé l’expérience. D’autres tiennent des soirées « pour lesbiennes » et disent ne pas pouvoir « parler pour les bisexuelles » et qu’on « devrait se créer nos propres espaces ». Ne pas pouvoir parler pour nous, je comprends… mais est-ce que ça s’étend à ne pas nous prendre en compte quand on parle de soirées et de production de matériel culturel «pour les femmes qui aiment les femmes» ? Est-on invisibles ou lépreuses (on a touché un pénis**,  tsé ) à ce point ?

C’est triste, mais tout comme être lgb ou q ne garantit pas de ne pas être transphobe, la biphobie rôde également dans nos communautés et nous devons en prendre conscience afin de la déconstruire. En attendant, j’espère que nous pourrons nous retrouver entre nous pour nous sentir légitimes dans nos paroles et nos vécus. À toustes les bisexuel.l.e.s et les pansexuel.le.s : je vous aime 💜

MD

*J’ai volontairement écris «gays» pour bien faire la distinction entre les communautés d’hommes gays et les communautés gaies qui incluent et invisibilisent couramment les lesbiennes.

**Je ne vous fais pas dire à quel point le problème de certaines lesbiennes avec les pénis est ciscentriste et cissexiste.

 

6 Comments

  • Anne-Marie dupras
    16 novembre 2017

    Je me reconnais tellement dans ce texte!!! MErci 🙂 Bibi est bi et fière de l’être!

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  • PIERROT13
    19 novembre 2017

    Bien que indécrottablement hétéro je comprends parfaitement les questions que chacun peut se poser avec la sexualité surtout quand elle est « jugée hors-normes ».
    Mon entourage familial et amical ne fait aucun cas de la sexualité de l’autre et alors on y retrouve des homos (garçons et filles) aussi bien que des hétéros. A une époque, nous avons collaboré à titre amical avec une association de réinsertion de prostituées qui voulaient quitter le métier.
    Une seule constant dans notre vie de couple : ne jamais juger l’autre, ne jamais imaginer ce qu’un couple homo (garçon ou fille) peut faire dans l’intimité.
    Une fois la porte de la maison fermée, ce qui se passe ne regarde plus personne.
    Si nous étions plus nombreux à avoir cette vue des relations hmaines, je suis persuadé que la planète s’en porterait mieux.

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  • Pingback: Le Coming-Out de Pan – Loi 22/Loi 101
    23 novembre 2017
  • Fhala
    30 mai 2018

    Merci pour cet article, je suis bie mais n’ai jamais eu de relations amoureuses et/ou sexuelles avec quelqu’un du même sexe que moi (pire, je vis avec mon mec depuis plusieurs années maintenant!) et c’est difficile à faire comprendre aux autres que ça ne contredit en rien mon ressenti sur la question. D’ailleurs, j’en parle rarement, je ne crois pas avoir la force d’écouter des remarques de ce genre, ça s’est très mal passé une fois, je passe mon tour pour un moment.
    Je suis surprise de voir ce qu’il se passe en milieu militant, surtout lesbien. Bien sûr, ce n’est pas une majorité, mais je m’attendais à plus de solidarité et de compréhension de la part des femmes.
    La création de notre propre espace serait très souhaitable, mais quand serait-il de sa composition ? resterions nous qu’entre femmes bies, ou accepterions-nous les hommes bis ? Y-a-t’il les mêmes problématiques et des intérêts à se constituer en un seul et même groupe ? La question est complexe mais je pense qu’on tend vers la créations d’espaces plus ou moins « mixtes » ou chacun.e se sentirait bien.

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