Parlons de liberté…
Filles en liberté de Catherine Léger

Après la présentation de Baby-sitter l’été dernier, l’auteure dramatique Catherine Léger signe ici Filles en liberté, une nouvelle comédie féministe, où l’humour noir côtoie le désenchantement social. Un texte qui pose des questions pertinentes et complexes et dont la réactivation de certains clichés féminins met en lumière nombre de paradoxes sur la figure de la « femme libre ».

Méli, dans la jeune vingtaine, s’ennuie dans son deux et demie; elle voudrait devenir mère au foyer mais son chum, Nick, professeur au cégep, souhaite plutôt qu’elle se trouve un emploi. Pendant que son amie Cynthia se tourne vers la pratique du abortion doping pour augmenter ses performances scolaires, Méli décide de se lancer en affaires en démarrant son site internet de pornographie du terroir.

Les représentations du féminin suggérées par les personnages de Méli, Cynthia et Chris dérangent : une s’emmerde tellement qu’elle ne trouve d’autre projet stimulant que celui de se partir en affaires dans le milieu de la pornographie « équitable », la deuxième prend des médicaments puis se fait avorter pour être certaine de « scorer » dans ses cours de droit; enfin, la troisième, qui a causé la mort de quelqu’un dans un accident de la route, tente de retrouver une qualité de vie après son choc post-traumatique. Chacune de ces jeunes femmes s’enchaîne dans une course à la performance qui demande de répondre à des impératifs féminins toxiques. Leurs discours sont constamment pétris de contradictions. Il semble y avoir un désir chez l’auteure de nous présenter des femmes complexes, pleines de défauts et bourrées de paradoxes. Mais c’est que l’accumulation de défauts, d’imperfections et de discours trash ne réussit pas tout à fait à problématiser les expériences et les relations qu’elles entretiennent entre elles et avec les hommes de leur entourage. C’est plutôt leur insouciance, leur immaturité et leur profond individualisme qui nous sautent au visage.

Les trois jeunes femmes sont donc libres de baiser, libres de devenir mère au foyer, libres de s’éreinter dans la performance sociale au détriment de leur propre santé, libres d’exhiber leurs réussites matérielles. Il faut donc dire que l’image qu’on nous propose de la liberté au féminin est difficile à prendre et c’est la tristesse du portrait d’ensemble qui éveille des questionnements. Que font ces représentations à notre imaginaire social, à notre imaginaire féministe? Qui se sent interpellées par ces représentations de jeunes femmes baveuses, désinvoltes et immatures, pour qui la performance de la féminité hypersexualisée semble être au centre de leur existence? Quel est le rôle du théâtre, ici, quand on fait face à ces personnages et aux discours qu’ils véhiculent? Entre les malaises, les rires et les questions, ce qui fonctionne, c’est que nous nous retrouvons autant désœuvrées que les personnages face au manque d’alternatives et d’espoir.

Filles en liberté tient de la même forme dramatique que les précédents textes de Catherine Léger : les dialogues sont vifs, la langue est décomplexée et la structure limpide. En ce sens, il m’a semblé que la mise en scène assurée par Patrice Dubois ralentissait le rythme et alourdissait l’ambiance générale. Comme si l’état de désarroi dont étaient investis les corps n’arrivait pas à coller tout à fait avec la dynamique interne du texte. Peut-être, aussi, n’a-t-on pas voulu ajouter plus d’éclat à un texte dont l’humour est déjà suffisamment confrontant.

Dans une entrevue, Catherine Léger mentionne : « Je pense que pour être féministe, il faut aimer toutes les femmes, même celles qui n’aident pas la cause ». De mon côté, je crois qu’il nous faut travailler avec les différends au sein des féminismes (pour citer Françoise Collin), discuter et critiquer à partir de ceux-ci. Des pièces comme Filles en liberté contribuent à stimuler des réflexions et permettent d’approfondir la notion de liberté au cœur du spectacle et au cœur des luttes féministes. C’est peut-être cela, finalement, qui fait que la dernière pièce de Catherine Léger reste pour moi une proposition féministe : parce qu’elle génère plus de questions qu’elle n’apporte de réponses et qu’elle nous force à reconsidérer ce que nous croyons être la liberté.

 

Filles en liberté

Production : Théâtre PÀP en codiffusion avec La Manufacture

Texte : Catherine Léger

Mise en scène : Patrice Dubois

 

Avec : Hugues Frenette, Laetitia Isambert, Etienne Pilon, Clara Prévost, Christian E. Roy et Catherine St-Laurent

 

Assistance à la mise en scène : Charlie Cohen

Décor : Odile Gamache

Costumes : Julie Breton

Éclairages : Julie Basse

Musique : Andréa Marsolais-Roy

Maquillage : Sylvie Rolland-Provost

 

Présenté jusqu’au 2 décembre 2017

Au Théâtre La Licorne

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