Denise Bombardier et la transphobie quasi-subtile

Ce texte a d’abord été publié sur le blogue Medium.

En réaction à l’article « Une transgenre préside la FFQ » dans le Journal de Montréal.

 

J’ai débuté, il y a quelques jours, la lecture du livre « Les angles morts » d’Alexa Conradi, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Force est de constater que la FFQ n’est pas étrangère à la controverse, ayant notamment été attaquée pour sa défense des femmes musulmanes et autochtones, ainsi que pour avoir élu une femme anglophone à sa tête.

 

Aujourd’hui, c’est sa nouvelle présidente qui est visée. Gabrielle Bouchard, nouvellement élue au poste, se fait critiquer parce qu’elle est trans. Oui, au Québec. Oui, en 2017. Presque 2018, même!

 

Suivant l’exemple de Lise Ravary, Denise Bombardier nous offre une deuxième chronique en une semaine dans le Journal de Montréal où elle remet en question la place de Gabrielle Bouchard. Depuis mon écriture de cet article avant-hier, elle en a écrit une troisième. Selon Denise Bombardier, il faudrait avoir été positionnée socialement comme femme depuis l’enfance pour pouvoir être au poste. Elle pousse même plus loin, l’accusant de machisme et de sentiments quasi-haineux envers les femmes.

 

Je n’en dirai pas trop sur la question de la maternité. J’en ai précédemment parlé dans une réponse à Richard Martineau et dans mes travaux académiques. En somme, associer de façon administrative et légale enfanter et maternité — et donc féminité — comme Bombardier le fait revient à accepter le rôle de mère qui est imposé sur tant de femmes. Que la majorité des personnes enfantant soient femmes, j’en conviens, mais l’existence des hommes trans et personnes trans non-binaire peut servir de tremplin vers une émancipation des femmes du rôle de la maternité.

 

C’est vrai que Gabrielle a des expériences différentes de la majorité des femmes du Québec. Si le sexisme, le harcèlement et la violence sont partagées autant par les femmes trans que cis, certaines autres expériences ne le sont pas. Je m’imagine qu’elle n’a jamais eu peur de tomber enceinte, par exemple. Mais c’est tout aussi vrai d’une femme cis qui est infertile. Est-ce que Denise Bombardier questionnerait la capacité d’une femme cis infertile d’être présidente de la FFQ? J’en doute.

 

Il y a plusieurs années, en Colombie-Britannique, une femme dénommée Kimberley Nixon s’est fait refuser un poste bénévole à un refuge pour femmes parce qu’elle est trans. À l’époque, Nixon avait transitionné depuis plus de 16 ans. Elle avait vécu de la violence conjugale et avait reçu du support d’un refuge pour femmes. Elle voulait redonner à la communauté et aider les autres de sa propre expérience. Malheureusement, cette expérience ne valait rien aux yeux du refuge. Selon eux, seulement une femme cis pouvait avoir des expériences pertinentes.

 

Toutes les femmes ont des expériences uniques. Les expériences des femmes blanches francophones ne sont pas les mêmes que celles des femmes musulmanes allophones et autochtones anglophones. Et une femme trans ayant vécu de la violence conjugale comprend probablement mieux les femmes les plus vulnérables du Québec qu’une femme cis n’ayant pas vécu de violence conjugale.

 

Denise Bombardier n’a aucune bonne raison de douter de l’expérience de Gabrielle Bouchard. L’expérience n’est qu’une excuse. La vraie raison de son objection se dévoile dans son langage : « homme devenu femme », « formée dans la culture masculine », « [e]st-ce vraisemblable qu’une femme s’exprime de la sorte ? », « [u]n macho n’en pense pas moins ».

 

Il est clair que, pour Bombardier, Gabrielle est un homme. C’est une instance de la transphobie médiatique de droite au Québec. Elle se joint à Lise Ravary, Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau, Sophie Durocher, Éric Duhaime et Stéphane Laporte à s’en prendre à un des groupes les plus marginalisés de notre société. À leur réponse, du silence. Moi-même trans, je demeure une des rares personnes qui leur répond, les médias plus progressifs se refusant habituellement de les critiquer. Dans cette mesure, les défenses de Gabrielle Bouchard sont inhabituelles, mais bienvenues. Néanmoins, c’est dommage que plus de voix trans ne furent pas publiées.

 

Que Denise Bombardier le veuille ou non, Gabrielle Bouchard est exceptionnellement bien qualifiée pour être à la tête de la FFQ. C’est une femme extraordinaire, passionnée, et à l’écoute des personnes qu’elle représente. Je n’ai absolument aucun doute en sa qualité de présidente. Bien sûr, Denise Bombardier ne l’aimera probablement pas, mais ça c’est surtout à cause de son conservatisme personnel qu’à cause d’une quelconque faute chez Gabrielle Bouchard.

 

Le processus démocratique a parlé.

 

 

Florence Ashley

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