Entrevue : vivre avec l’endométriose, une maladie chronique

Novembre, un café. Une amie proche a accepté de me parler de ses douleurs chroniques et plus particulièrement de son rapport avec l’endométriose, une maladie chronique peu connue reliée à l’utérus, mais qui affecte tout le corps, la santé mentale et la vie en général. Dans cette entrevue[1], nous parlons d’endométriose, du milieu médical et des difficultés quotidiennes encourues avec soi-même et les autres quand on souffre de douleurs chroniques et qu’on est une femme.

 

Si : Allô Asclépiade[2] ! Pourrais-tu nous parler un peu de toi pour commencer ?

 

Asclépiade : Oui ! Je m’identifie comme une femme cis pansexuelle, j’ai 37 ans, je suis maman monoparentale depuis que ma fille a un an et demi, donc coparente à 50 % avec le père de ma fille. Je suis enseignante en francisation, j’écris des fois et puis voilà, je suis aussi maman de trois chats et un chien, je ne sais pas si c’est pertinent hihi ! (rires)

 

Si : Très pertinent ! Aujourd’hui, tu voulais nous parler d’un problème de santé qui te touche particulièrement : l’endométriose, une maladie chronique. Peux-tu nous expliquer c’est quoi dans tes mots ?

 

Asclépiade : L’endométriose, c’est une maladie qui est reliée aux personnes qui ont des utérus. C’est une maladie chronique qui est liée à l’inflammation de l’endomètre, c’est-à-dire la partie intérieure de l’utérus, qui va se mettre à pousser et ensuite à se défaire pendant le cycle menstruel. Le jour 1 des menstruations, l’endomètre va commencer à se défaire et provoquer la menstruation, le sang et tout, et bien l’endométriose fait en sorte que pendant le cycle menstruel, il va y avoir des adhérences, des parties d’endomètre qui vont pousser à l’extérieur de l’utérus. Ça va faire en sorte qu’il va y en avoir parfois dans les trompes de Fallope, sur les ovaires, dans les intestins, pis ça peut devenir tout collé ensemble dans le péritoine, ce qui provoque beaucoup de douleurs avant, pendant et après les menstruations. Les parties d’endomètre qui ne peuvent pas être évacuées vont créer de l’inflammation externe, pis c’est extrêmement douloureux. Les menstruations deviennent intolérables et ça dure parfois plus longtemps que le cycle normal. J’ai déjà eu des menstruations qui ont duré jusqu’à 3 mois.

 

Si : Comment ça se passe avec le milieu médical ? Depuis combien de temps es-tu diagnostiquée ?

 

Asclépiade : Ça, c’est l’affaire qui est vraiment tricky parce que l’endométriose, du point de vue médical, va être diagnostiquée seulement à l’aide d’une laparoscopie. Ça veut dire que pour avoir le diagnostic officiel du médecin, il faut passer une caméra à l’intérieur du péritoine pour aller voir s’il y a des adhérences. Les médecins ne veulent pas faire cette intervention chirurgicale-là parce que chaque fois que tu ouvres quelqu’un-e, il y a toujours des dangers d’infections ou de briser quelque chose à l’intérieur. Iels ne veulent pas nécessairement faire le test dès que tu as des symptômes, iels vont plutôt te dire que tu as probablement de l’endométriose, mais que si ce n’est pas handicapant tous les jours de ta vie pendant genre 10 ans, iels ne vont rien faire. Ce qu’on va te proposer, c’est de prendre la pilule en continu 28 jours sur 28 pour essayer le plus possible de résorber la partie menstruelle. Iels te proposent aussi d’utiliser Mirena, un stérilet avec des hormones dedans qui diminue beaucoup la présence des menstruations, parce que le but est d’assécher les menstruations le plus possible. Euzes-autres, dans leurs têtes, c’est que si tu fais vraiment de l’endométriose, ça devrait faire l’affaire. Moi le diagnostic, je l’ai eu sans avoir la laparoscopie, parce que ma douleur chronique était rendue tellement envahissante que la gynéco que j’ai vue en mars (2018) m’a dit que j’avais tous les symptômes, et j’étais rendue au point où ma vessie a arrêté de fonctionner, ça veut dire que mon péritoine était clairement hyper enflammé. C’était la première fois depuis que j’ai mal, depuis mes 13 ans, qu’on me donne le diagnostic d’endométriose. Toutes les autres gynécos que j’ai eu-e-s n’ont jamais voulu me donner le diagnostic. Ma gynéco actuelle a confirmé que je fais de l’endométriose depuis mes 13 ans et aussi que j’ai une fistule rectovaginale depuis l’accouchement de ma fille. Ces deux choses-là font en sorte que j’ai toujours des douleurs pelviennes que je n’arrive pas à traiter, que les médecins ne traitent pas, et ça a complètement spasmé mon plancher pelvien. Ma gynéco m’a donc proposé de faire de la physiothérapie de rééducation périnéale et pelvienne pour la première fois. Si le personnel médical avait vraiment écouté ma douleur, on m’aurait envoyé en physio il y a 15 ans, je n’aurais pas eu ce problème-là de vessie, ni toutes ces complications et ces douleurs.

 

Si : Comment vit-on au quotidien avec une maladie chronique ?

 

Asclépiade : C’est une question intéressante parce que c’est très difficile de mesurer la douleur. Les gens à l’hôpital vont te demander quelle est ta douleur sur 10, 1 c’est un petit mal, pis 10, t’es en train de crever. Ça se peut que j’évalue ma douleur comme un 3 pis que pour une autre personne ça serait un 6, c’est très difficile d’évaluer ce que la douleur veut dire. Je pense qu’en général, les gens qui ont des maladies chroniques apprennent à vivre avec la douleur, c’est-à-dire que la douleur fait partie de leur vie, pis iels acceptent un certain seuil de tolérance. Ce que ça peut avoir comme effet, c’est une fatigue extrême : les gens vont tolérer la douleur, iels vont faire leur journée, aller travailler, s’occuper de leurs enfants, mais ça se peut qu’à la mi-journée, iels soient déjà à boute, que leur niveau d’énergie monte pas autant que les autres personnes ou qu’iels perdent vraiment plus vite leur énergie, donc ça cause parfois des frictions. T’es toujours en train de refuser des invitations parce que t’es épuisée, pis c’est dur de devoir dealer avec ça. Une autre chose, c’est que les gens qui vivent avec la douleur chronique font beaucoup de dépressions, souvent à intermittence, parce qu’à force de toujours avoir mal, ça joue beaucoup sur les glandes surrénales, pis les glandes surrénales toujours stressées finissent par produire trop de cortisol (hormone du stress provoquée par la douleur) et à long terme, ça finit par avoir un impact dévastateur sur ton cerveau. Ce qui est une charge de plus qui favorise les états dépressifs. Les médecins se rendent compte de plus en plus que les douleurs chroniques et les maladies inflammatoires ont des liens étroits et de grands impacts sur la santé mentale, en général. Ensuite, qu’est-ce qu’on fait avec une douleur chronique ? On vit au jour le jour en essayant de ne pas anticiper les lendemains. Quand ça ne va pas bien, la partie la plus difficile pour moi, c’est d’accepter que c’est juste comme ça, sans me sentir coupable. Je me culpabilise beaucoup, j’essaie moi-même de patcher des trous dans mon incompréhension en essayant de trouver des raisons qui expliquent ma douleur ; je me demande si c’est mon corps qui me punit parce que je ne prends pas assez soin de moi. Il y a un gros trigger de culpabilité qui vient avec ça, parce que des fois je me demande si c’est juste dans ma tête ou si c’est parce que inconsciemment j’ai besoin d’attention, parce qu’on se le fait dire souvent par notre entourage et on se met à douter de soi. Il doit y avoir une prise de conscience dans le milieu médical comme quoi les humain-e-s, on a un corps entier, chaque partie n’étant pas séparée du reste. Il faut que le corps médical commence à voir le corps humain comme quelque chose d’holistique, pis ce n’est pas ce que la médecine actuelle prône. Il y a des spécialistes de l’utérus, du vagin, des trompes de Fallope, des ovaires, pis quand j’ai eu mon problème de rétention urinaire (incapacité d’uriner), ma spécialiste, elle, c’était la vessie, pis les reins, pis mon urètre sa spécialité. Mais tout ça, c’est relié, c’est tout dans la même région, mais comme la gynécologie n’était pas son domaine et qu’elle ne trouvait pas de pathologie urologique, et bien pour elle, je n’avais rien. Retour à la case départ. Ça a pris ensuite des semaines pour être vue par une gynéco ! C’est extrêmement frustrant !

 

Si : Comment les personnes réagissent en apprenant que tu fais de l’endométriose ? Est-ce que ça te cause des difficultés au travail ou dans tes relations intimes ?

 

Asclépiade : En général, je pense que les gens ont beaucoup de difficulté à comprendre les maladies chroniques, qui sont souvent des problèmes que les femmes vivent plus que les hommes. Je te dirais que j’ai un bon soutien de ma famille. J’ai plus de difficultés avec des gens moins proches, par exemple dans mon milieu de travail en général. Souvent, je vais mentir, je vais dire, mettons, que ma fille est malade, alors que c’est moi qui est sur le cul. Parce que je me sens honteuse, j’ai peur d’être jugée. Les gens ne comprennent pas, iels pensent que tu veux juste prendre des journées de maladie pour te la couler douce chez vous, mais je ne peux pas aller chez le médecin à chaque fois que j’ai mal. Les gens qui jugent beaucoup la médication, aussi, ça c’est drainant et invalidant. Par rapport à mes partenaires, ce n’est pas toujours facile. Au début, c’est quelque chose de nouveau, iels ont beaucoup de compassion et veulent être proches. Mais à la longue, les gens perdent de leur compassion parce qu’il n’y a pas de guérison. Iels finissent eux aussi par essayer de trouver des raisons qui expliquerait mon mal, mais qui me rendent aussi responsable de mon état… C’est sûr que sexuellement, quand tu as des problèmes d’endométriose, une fistule rectovaginale et des problèmes de vessie, ben le sexe pénétratif, on n’y pense même pas pendant très longtemps, et je dirais aussi que le sexe en général, t’as pas le goût d’aller te faire jouer là. Il y a des moments où même l’orgasme est douloureux. C’est clair que ça peut créer des tensions avec le partenaire, surtout masculin (cishet), je dirais. Mes douleurs n’ont pas toujours été bien comprises. J’ai donc déjà eu de la pression de ce côté-là, oui.

 

Si : Que dirais-tu aux personnes qui pensent faire ou font de l’endométriose ?

 

Asclépiade : Il y a des petites choses au quotidien qui peuvent avoir un impact. Moi, ce qui m’aide beaucoup, c’est d’avoir changé ma diète. Je trouve que j’ai plus d’énergie et moins de douleurs chroniques en général depuis que j’ai coupé tous les sucres raffinés. J’ai aussi augmenté beaucoup ma source de gras. Je prends des bons gras comme de l’huile d’olive, de l’huile de lin, de l’huile de coco et de l’huile d’avocat. Il y a aussi les noix, les graines de chia, bref, plusieurs aliments peuvent aider, mais ça ne garantit pas un mieux-être. Ça dépend de chaque personne. Ça m’aide aussi de juste respirer dans ma douleur. Quand j’ai vraiment mal, il n’y a rien d’autre que je puisse faire : je me couche, je m’assois dans des positions les plus confortables possible, je respire, pis je respire dans ma douleur, j’attends que ça passe, pis oui, ça finit par passer, mais c’est chiant que ce soit tout le temps en train de revenir. Pis si les gens pensent avoir ce problème-là, pis qu’iels ne se sentent pas écouté-e-s ou cru-e-s par leurs gynécos ou autres spécialistes, moi ça m’a pris du temps avant que je le fasse, mais j’ai envoyé des lettres à l’ombudsman[3], carrément, en expliquant ma situation en détail. C’est une charge supplémentaire pour une personne déjà à bout, mais parfois, on n’a pas le choix.

 

Un grand merci à Asclépiade pour les confidences et la confiance. Je lui souhaite du doux.

 

[1] L’entrevue a été réalisée d’abord oralement, puis retranscrite à l’ordinateur et retravaillée de concert avec la participante et l’équipe éditoriale pour rendre la lecture plus fluide et agréable.

[2] Nom fictif choisi par elle.

[3] « Le rôle de l’ombudsman consiste à recevoir les plaintes des [usagèr-e-s] et à les étudier. (…) L’ombudsman agit également en qualité de personne-ressource ou [d’agent-e] de liaison dans des situations où les [patient-e-s] et les [prestateurices] de soins doivent recourir à la médiation. » Source : http://jgh.ca/fr/ombudsmanHGJ.

 

L’illustration qui accompagne ce texte est de l’artiste JULIE DELPORTE. Nous vous invitons à consulter sa page Instagram, @juliedeltaporte.

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